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pas ici la seule capacité, d’avoir une pensée ou une autre, mais la pensée actuelle ; autrement le docteur Clarke ne pourroit pas employer le terme de sentiment intérieur individuel comme synonyme, pour désigner la faculté de penser. Car le sentiment est l’acte de la faculté & non la simple faculté.

Le mot individuel appliqué à une faculté, doit désigner la simple faculté sans aucune détermination, soit que cette faculté procède d’un être individuel, ou d’une substance actuellement divisée ou divisible. Si une faculté individuelle signifie une propriété inhérente à un être individuel, si l’on suppose que le sentiment intérieur est une propriété individuelle de cette espèce & que la question soit de savoir si le sentiment intérieur ou une faculté individuelle peut résider dans un systême de matière, c’est-à-dire dans un être qui n’est point individuel ; il n’y a plus de dispute : la supposition décide la question. Dans une telle hypothèse, la matière ne peut pas penser. Dès que l’on suppose la matière composée de parties ; & la faculté de penser ou le sentiment intérieur une propriété individuelle qui ne peut résider dans une substance composée de parties, il est inutile de demander si la matière peut avoir la faculté de penser. C’est comme si l’on demandoit si ce qui ne peut pas penser peut penser. Est-ce-là une question à faire ? Je ne prétends pas empêcher M. Clarke de soutenir que la faculté de penser ou le sentiment intérieur est une propriété qui ne peut résider que dans un être individuel. Il peut, en toute liberté, agiter cette question tant qu’il voudra, & je serai charmé de recevoir d’un savant aussi distingué des lumières sur la nature de la pensée. Tout ce que je lui demande, c’est de ne pas supposer que la pensée soit une faculté individuelle au sens propre de la question présente avant que de l’avoir prouvé, c’est-à-dire une faculté qui ne puisse résider dans une substance composée de parties ; & quand il l’aura prouvé je conviendrai qu’un systême de matière est incapable de penser, & conséquemment que le principe qui pense est une substance immatérielle. Mais supposer n’est pas prouver.

Après ces observations préliminaires, je passe à une réponse directe.

I. Cette belle division des qualités ou facultés en trois classes, est ce qu’on appelle dans l’école, argumentum ad ingnorantiam. En distinguant les propriétés ou facultés de la matière en trois espèces, en montrant que les deux dernières espèces portent improprement le nom de propriétés ou facultés, M. Clarke suppose que le corps n’a & ne peut avoir que des qualités d’une seule espèce, telle que la grandeur & le mouvement qui sont des sommes ou des aggrégats des mêmes qualités qui résident dans chacune de ses parties. Cela veut dire seulement qu’il ne connoît dans la matière que des qualités de l’espèce de la grandeur & du mouvement qui sont des assemblages, des résultats des qualités semblables que possede en petit chaque particule matérielle. En conclure que la matière ne peut pas avoir des qualités d’un autre genre, c’est une conclusion purement gratuite.

Ce que nous voyons, ce que nous savons ne conclut rien contre la possibilité de ce que nous voyons & ne savons pas. Si M. Clarke avoit prouvé, comme il se l’étoit proposé, qu’un systême de matière ne peut point avoir de qualités qui ne soient la somme ou l’aggrégat des qualités semblables inhérentes aux moindres particules matérielles, alors il auroit été en droit de conclure que si le sentiment intérieur étoit réellement inhérent à un systême quelconque de matière, il ne pourroit être que la somme ou le résultat des sentimens intérieurs de ses différentes parties. Tant qu’on ne prouvera pas que les facultés des corps ou systêmes de matière ne peuvent être autre chose que des sommes ou aggrégats des propriétés particulières à leurs élémens, on pourra toujours supposer que les particules différentes de la matière ont ou peuvent avoir des propriétés différentes qui leur sont inhérentes, ou qu’elles tiennent, comme une addition arbitraire, de la puissance infinie de Dieu ; que l’action ou la faculté réduite en acte, qui résultera de leur union en un seul systême, sera d’une espèce différente des propriétés particulières à chaque partie du composé considérée séparément ; & qu’ainsi loin d’être la somme ou l’aggrégat de plusieurs facultés semblables, elle sera au contraire le résultat d’un certain nombre de propriétés de différente espèce.

Ainsi M. Clarke doit prouver que le sentiment intérieur n’est pas un acte, ou une faculté actuelle qui résulte de l’union de différentes espèces de facultés ; ou il doit renoncer à démontrer que la matière soit incapable de penser parce qu’elle est divisible à l’infini, ou actuellement divisée en une infinité de parties. En effet, dans la supposition que différentes parties d’un seul systême de matière ont des facultés d’une espèce différente, & tant qu’il n’est pas prouvé que le sentiment intérieur soit une faculté individuelle dans le sens propre, c’est-à-dire, une faculté qui ne sauroit appartenir à un être divisible ou divisé, quelle raison a-t-on de prétendre que si le sentiment intérieur est inhérent à un systême de matière, il est la somme ou le résultat des sentimens intérieurs inhérents à ses différentes parties ? au contraire si le sentiment intérieur appartient au tout ensemble, les différentes

parties