Page:Encyclopédie méthodique - Philosophie - T1, p2, C-COU.djvu/205

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

3o. M. Clarke n’a pas fait une énumération juste & complette de toutes les facultés de la matière. Pour mieux comprendre combien sa division est défectueuse, considérons ce qu’on entend par faculté dans la question que nous agitons. C’est, si je ne me trompe, la capacité actuelle d’opérer ou de souffrir un changement, d’agir ou d’être le sujet passif d’une action. D’après cette définition, il s’agit de savoir si dans un systême quelconque de matière, toute capacité actuelle d’opérer ou de souffrir un changement, d’agir ou d’être le sujet passif d’une action, est la somme ou l’aggrégat de plusieurs capacités du même genre. Or ce qui prouve incontestablement qu’il y a dans les corps des capacités actuelles d’opérer ou de souffrir un changement qui ne soit point la somme ou l’aggrégat d’autres capacités semblables, c’est que la grandeur & le mouvement ne suffisent pas au corps pour qu’il puisse opérer ou recevoir du changement ; la texture des parties lui est également nécessaire. La texture d’un œil, d’une oreille, ou de telle autre partie de l’homme est différente de celle des autres corps animés & elle est encore différente des autres parties du même corps ; & c’est de cette texture, aussi bien que de sa grandeur & de son mouvement, que la matière qui compose l’œil, tire la faculté d’opérer ou de recevoir du changement, d’agir ou d’être le sujet passif d’une action. Cette faculté dépend tellement de l’organisation particulière de l’œil, l’organisation en étant dérangée, la faculté cesse, il ne peut plus ni recevoir l’impression des objets extérieurs, ni contribuer à l’acte de la vision. Si donc les facultés du systême quelconque de matière cessent par le moindre dérangement d’une de ses parties, il est évident qu’elles ne sont point dans lui des qualités du même ordre que la grandeur & le mouvement : car qu’on change & qu’on divise ces parties tant que l’on voudra, elles auront toujours de la grandeur, & elles seront susceptibles de mouvement ; au-lieu qu’en séparant ou en changeant une seule partie de l’œil, vous détruisez la faculté de la vue & l’acte de la vision.

4o. J’ai dit : » Le défaut de l’argument de M. Clarke consiste en ce qu’il entend par faculté individuelle une propriété qui ne peut appartenir qu’à un être individuel. C’est-là poser ce qui en question, savoir si la faculté de penser est une propriété de cette espèce. Notre docteur ne dit pas un mot qui tende à prouver cette assertion ; & il a bien raison : car pour le prouver, il faudroit connoître parfaitement la nature de la pensée. Nous pouvons à la vérité, distinguer plusieurs espèces de pensées les unes des autres. Mais la pensée est-elle une opération qui ne puisse procéder que d’un être individuel ? Ou bien peut-elle résider dans un être composé de parties actuellement séparées & distinctes ? C’est ce que nous ignorerons jusqu’à ce qu’on en donne une meilleure preuve que celle du Dr. Clarke. Il ne suffit d’appeller la faculté de penser une propriété individuelle pour démontrer qu’elle appartient en propre à un être individuel, à l’exclusion de tout autre ».

Pour mieux faire sentir l’insuffisance du raisonnement de M. Clarke, j’observe qu’il s’étoit proposé de démontrer que la faculté de penser, ou le sentiment intérieur, ne peut pas résider dans un systême de matière, & de le démontrer par la seule considération du sentiment intérieur. Voici le précis de sa démonstration : » La matière est une substance composée de parties toujours séparées & distinctes ; le sentiment intérieur est une faculté individuelle : une faculté individuelle ne peut pas résider dans une substance composée de parties actuellement séparées & distinctes, qu’elle ne réside pareillement dans toutes les parties de cette substance ; & si elle résidoit dans chaque partie, il y auroit autant de facultés ou de sentimens intérieurs que de parties, de sorte que le sentiment intérieur seroit en même-tems individuel & multiple, ce qui ne peut pas être. Donc une faculté individuelle ne peut pas être inhérente à une substance matérielle : donc un systême de matière ne peut pas avoir la faculté de penser. » Telle est la force du raisonnement de M. Clarke, sur quoi je ferai les remarques suivantes.

D’abord, l’idée que nous attachons au mot matière, dans la dispute présente, désigne un être solide composé de parties actuellement séparées & distinctes.

Ensuite, dire que le sentiment intérieur est une faculté individuelle, comme le disent tant de métaphysiciens ; c’est uniquement lui donner une autre nom, sans expliquer ce que c’est que le sentiment intérieur, ni en quoi il consiste. C’est pourtant-là ce qu’il faudroit faire pour démontrer par sa nature, qu’il ne sauroit exister dans un être composé de parties actuellement séparées & distinctes. Si quelqu’un disoit que le sentiment intérieur est une qualité qui suppose que l’être où elle se trouve, n’est point composé de parties distinctes, pour rendre la vérité de cette assertion évidente, il faudroit qu’il prouvât que ces deux qualités, avoir un sentiment intérieur, & être composé de parties distinctes, sont des propriétés, facultés, ou affections incompatibles, & ne peuvent pas coexister ensemble dans un même sujet ; & pour démontrer leur incompatibilité, il ne suffiroit pas de donner au sentiment intérieur un autre nom arbitraire, il fau-