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celle d’avoir des parties distinctes les unes des autres (partes extra partes) ou celle d’être composée de parties qui peuvent exister séparément & qui n’ont point de dépendance nécessaires les unes des autres, en font évidemment un être divisible, au lieu que nous ne connoissons point dans les êtres immatériels, de propriétés pareilles qui supposent en aucune manière la divisibilité ».

N’en déplaise à M. Clarke, je soutiens qu’il n’y a aucune différence entre un systême de matière tel que je le suppose dans l’objection précédente, & un être immatériel étendu. Quoique toute la matière soit composée de parties qui ne dépendent point nécessairement les unes des autres pour leur existence, cependant un systême de matière tel que je l’ai supposé ne peut pas plus être divisé par les causes naturelles qu’un être immatériel. Or M. Clarke est si éloigné de nier ma supposition qu’il la réduit en fait, en disant qu’il y a des particules de matière qu’aucune puissance naturelle ne sauroit diviser. Or s’il y a des systêmes de matière qu’aucune force naturelle ne puisse diviser, quoiqu’ils puissent être divisés par la puissance divine, il n’y a entre eux & les êtres immatériels finis, aucune différence au premier égard.

Quant au second qui consiste à pouvoir ou à ne pouvoir pas être divisés par la puissance de Dieu, je ne vois encore aucune différence entre de tels systêmes de matière & les êtres immateriels finis supposés étendus. Tous les êtres finis étendus, soit matériels ou immatériels, résultent d’une quantité de parties tellement disposées que la partie d’un côté n’est pas celle de l’autre. C’est une continuité de la même substance. Je ne vois pas pourquoi une substance ainsi continue ne seroit pas divisible. Que M. Clarke nous fasse voir par quelle raison une substance solide continue peut être divisée par la puissance de Dieu, & cette raison prouvera la même divisibilité de toute autre substance continue.

Supposons que l’ame a quatre pouces quarrés d’étendue : cette supposition devient raisonnable dès que l’on regarde l’ame comme une substance étendue. Je demande donc à M. Clarke si le dégré de l’étendue de l’ame ne dépendoit pas autant de Dieu, lorsqu’il créa cette substance pensante, que celui de la grandeur de toute particule de matière reconnue pour indivisible par aucune cause naturelle. Dieu n’auroit-il pas pu ne lui donner que deux pouces d’étendue, s’il avoit voulu, comme il pouvoit diminuer la masse des particules de la matière ? Je suppose que M. Clarke m’accordera l’un & l’autre. Or, si Dieu peut faire des êtres immatériels de différentes dimensions, qui peut l’empêcher de diminuer à-présent l’étendue qu’il donna à un être immatériel en le créant, sans l’empêche également de diminuer la grandeur qu’il donna à un solide continu en le créant ? Il me semble qu’un pouce d’étendue du côté droit d’un être immatériel ne dépend pas plus, quant à son existence, d’un pouce d’étendue du côté gauche, que chaque côté d’une particule de matière parfaitement solide ne dépend de l’autre au même égard. Nous avons donc découvert dans les êtres immatériels une propriété qui suppose la divisibilité, comme nous en connoissons de pareilles dans la matière. L’étendue continue rend l’être qui la possède aussi réellement divisible que la solidité continue.

» On peut démontrer, ajoute M. Clarke, que les parties connues de l’espace sont absolument indivisibles ; de sorte qu’il n’est pas difficile de comprendre que les êtres immatériels étendus soient pareillement indivisibles ».

Quand même on pourroit démontrer que les parties connues de l’espace sont absolument indivisibles, il ne s’ensuivroit pas qu’il fut aisé de s’imaginer qu’une substance immatérielle pût être pareillement indivisible. L’espace est supposé infiniment étendu, parce qu’il n’est autre chose que l’absence ou la place des corps, au-lieu qu’un être immatériel est quelque chose d’étendu & de fini.

Cependant si Dieu peut diviser tous les êtres finis étendus, tout ce que M. Clarke allègue en preuve de l’incapacité de penser qu’il attribue à la matière, aura la même force pour prouver que l’être immatériel ne peut pas penser. On s’en convaincra par les paroles même de ce savant théologien en substituant seulement le terme de matière ou d’être matériel, à celui d’ame ou d’être immatériel étendu.

» Supposez, dit-il, un être étendu aussi petit qu’il vous plaira, doué du sentiment intérieur ou de la pensée. Si cet être étendu, tout petit qu’il est, peut-être divisé en deux parties par la puissance de Dieu, qu’arrivera-t-il naturellement à sa faculté de penser, en conséquence de cette division ? Si cette faculté subsiste encore, il y aura deux sentimens intérieurs distincts, un dans chaque partie séparée ; ou bien la faculté qui continuera d’exiger dans I’espace ou distance intermédiaire qui sépare les deux parties, n’aura point de sujet, ou elle aura pour sujet quelque chose qui ne sera pas une substance matérielle. Si l’on prétend qu’après la division il n’y a qu’une seule des deux parties séparées qui conserve la faculté de penser, il faut de deux choses l’une, ou qu’avant la division, il n’y eût qu’une partie qui la possédât, & alors on demandera ce qu’il arriveroit si cette partie pensante étoit divisée ; ou

qu’une