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elles quelque chose d’immatériel, il ne s’ensuit pas qu’elles doivent être anéanties à la dissolution de leur corps, ou devenir capables d’un bonheur éternel, comme les ames humaines ». Puisque M. Clarke convient que les bêtes, ou les créatures sensibles, ne sont pas de pures machines, mais qu’elles ont en elles quelque chose d’immatériel, qu’il me dise, lui qui conclut l’immortalité naturelle de notre ame de son immatérialité, ce qu’on peut penser de plus raisonnable de l’ame des brutes que de dire ou qu’elle sera anéantie dans un temps ou dans un autre, ou qu’elle jouira, comme la nôtre, du privilège de l’immortalité bienheureuse. Cette ame, si elle n’est pas anéantie doit, suivant notre docteur, conserver pour toujours la faculté de sentir ou de percevoir. Ses perceptions doivent être ou agréables ou désagréables. Ainsi elle doit être supposée capable ou d’avoir éternellement des perceptions agréables, ou d’avoir un mélange éternel de perceptions agréables & de perceptions désagréables. Surement M. Clarke n’admettra ni la seconde ni la troisième alternative, à l’exclusion de la première, puisqu’elles détruiroient toutes les preuves de l’immortalité de l’ame humaine.

Ma dernière objection dégagée de toute expérience obscure ou douteuse, & à laquelle je serois charmé de recevoir une bonne réponse, se réduit à ceci : si la faculté de penser prouve l’immatérialité de l’ame humaine, & si de son immatérialité on peut inférer son immortalité naturelle, & conséquemment qu’elle est capable d’un bonheur éternel ; la faculté de penser qu’on ne peut refuser aux bêtes prouve l’immatérialité de leur ame ; & l’immatérialité de l’ame des bêtes, prouve qu’elle est naturellement immortelle, prouve qu’elle est naturellement immortelle, & conséquemment capable d’un bonheur éternel. Si d’un autre côté l’ame des bêtes peut être anéantie dans un temps ou dans un autre, la nôtre peut l’être aussi ; & dès lors l’argument tiré de l’immatérialité de l’ame humaine ne prouve point qu’elle doive être immortelle, ni qu’elle le sera.

Postscript sur la réponse de M. Milles au discours
épistolaire de M. Dodwell.

Je finissois ma réplique à la défense de M. Clarke, lorsque j’ai reçu de M. Milles au discours de M. Dodwell. Dans la préface de cette réponse l’auteur prend la défense de M. Clarke en faveur de l’immatérialité & de l’immortalité naturelles de l’ame, contre mes objections. Mais les principes sur lesquels il se fonde détruisent ce qu’il veut établir, & il donne aux paroles de M. Clarke un sens tout-à-fait contraire à celui que ce dernier leur donne lui-même dans sa défense. Par exemple, M. Milles dit que » si l’être pensant est étendu, il doit avoir des parties. » Et M. Clarke soutient précisément le contraire. Il ajoute que » par un être individuel M. Clarke entend un être inétendu. » Ce qui est absolument faux, puisque M. Clarke ne refuse pas l’étendue au principe immatériel qui pense dans nous. Il m’accuse encore » de n’avoir pas bien compris mon adversaire, lorsque j’ai dit qu’il n’excluoit point l’étendue de l’idée de l’immatérialité ». Il s’en faut bien que ce soit-là une méprise de ma part. M. Clarke ne me fera point un pareil reproche. Loin de prétendre que si l’être qui pense dans nous est étendu, il doit avoir des parties, il convient avec moi dans sa défense que l’étendue n’est point exclue de l’idée qu’il a de l’immatérialité, & il me donne gain de cause si je prouve que toute étendue finie a des parties, c’est-à-dire si je prouve ce que M. Milles regarde comme vrai, ce qu’il admet pour un principe évident. Au lieu donc de répondre en particulier aux observations de M. Milles, il me suffit de le renvoyer à la défense de M. Clarke, où il verra que non-seulement il n’est pas entré dans le sens de M. Clarke, mais de plus qu’il l’a contredit expressément, & qu’il ne plus le défendre sans rétracter sa préface. En effet, si un être immatériel pensant, ou l’ame, est un être étendu suivant M. Clarke, & qui pourtant ne peut être par aucune force naturelle ni divine, on ne peut pas soutenir, avec M. Milles, que si ce qui pense dans nous est étendu, il est composé de parties « & qu’il est impossible qu’un être composé de parties devienne le sujet de la pensée ». Ou si ces deux propositions de M. Milles sont vraies, elles détruisent la démonstration de l’immatérialité de l’ame proposée par M. Clarke. Car, en supposant que tout ce qui est étendu est composé de parties, & que tout être composé de parties ne sauroit penser, la substance immatérielle de M. Clarke, ne peut pas être un principe pensant, puisqu’il lui accorde l’étendue. Ainsi, M. Milles détruit l’immatérialité de l’ame, au sens de M. Clarke, en voulant la défendre ; & s’il entreprend de nouveau d’appuyer l’argument de M. Clarke, il doit commencer par rétracter ce principe de sa préface ; savoir que si ce qui pense est étendu, il est composé de parties. Autrement il ne pourra jamais démontrer l’indivisibilité de l’être étendu, ni conséquemment prouver l’immatérialité & l’immortalité naturelles de l’ame, au sens de M. Clarke.

Quoique M. Milles ait si mal compris M. Clarke, cependant il est juste que le lecteur sache la raison pour laquelle il lui fait dire que l’être immatériel est un être inétendu. La voici :

« L’auteur des remarques sur l’argument de M. Clarke, dit-il, lui fait beaucoup de tort, en lui imputant de ne pas exclure l’étendue de