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la pensée comme d’un acte direct, & je dis : C’est un fait, ou plutôt une multitude de faits. Il suffit d’avoir des yeux pour appercevoir de tous côtés des systèmes de matière revêtus de certaines facultés qui ne résident ni dans chacune, ni dans aucune des parties qui les composent, considérées en particulier & sans rapport au tout. Prenons une rose. Elle est composée de plusieurs parties dont chacune prise séparément n’a point la faculté de produire dans nous cette agréable sensation qu’elles causent lorsqu’elles unies ensemble. Il faut donc que, dans un tel systême, chaque partie contribue à la puissance individuelle qui est la cause externe de la sensation. » On voit clairement que je suppose la matière de ces différens composés matériels, essentiellement capable des propriétés individuelles qui sont le résultat d’une certaine combinaison de leurs parties ; que je suppose, par exemple, la matière de la rose, essentiellement capable d’exciter en nous une douce sensation d’odeur, & que c’est de l’arrangement des parties matérielles sous la forme de rose que résulte cette opération particulière qui produit en nous une telle sensation.

I. M. Clarke, voulant prouver que le sentiment intérieur ne sauroit avoir pour sujet d’inhérence une substance divisible, range toutes les propriétés possibles de la matière sous trois classes.

» 1o. Les propriétés réellement inhérentes au sujet auquel elles sont attribuées, comme la grandeur & le mouvement qui sont des sommes ou agrégats de propriétés partielles de la même espèce.

» 2o. Les modes produits dans quelques autres sujets : par exemple, l’odeur & la couleur d’une rose. On regarde vulgairement ces modes, comme des propriétés individuelles ; mais, dit M. Clarke, leur prétendue individualité n’est qu’une erreur grossière & populaire.

» 3o. Certains effets ou certaines qualités qui ne résident proprement dans aucun sujet, comme le magnétisme & l’électricité. »

Il suit de cette énumération que, selon M. Clarke, la matière ne sauroit avoir que des propriétés de l’espèce de la grandeur & du mouvement qui sont des sommes ou aggrégats de propriétés partielles de la même espèce. Aussi prétend-il que » si la pensée pouvoit être une faculté inhérente à un systême de matière, elle seroit nécessairement la somme & le résultat des pensées des diverses parties & qu’ainsi il y auroit dans le systême total autant de pensées ou de sentimens intérieurs individuels que de particules matérielles » : ce qu’il regarde comme une absurdité avouée de tout le monde. Je n’ai pas fait un grand accueil à cette belle division des qualités ou facultés de la matière en trois classes : je l’ai traitée d’argumentum ad ignorantiam suivant le jargon de l’école. « En distinguant les propriétés ou facultés de la matière en trois espèces, en montrant que les deux dernières espèces portent improprement le nom de propriétés ou facultés, M. Clarke suppose que le corps n’a & ne peut avoir que des qualités d’une seule espèce, telles que la grandeur & le mouvement qui sont des sommes ou des aggrégats des mêmes qualités qui résident dans chacune de ses parties. Cela veut dire seulement qu’il ne connoît dans la matière que des qualités de l’espèce de la grandeur & du mouvement qui sont des assemblages, des résultats des qualités semblables que possède en petit chaque particule matérielle. En conclure que la matière ne peut pas avoir des qualités d’un autre genre, c’est une conclusion purement gratuite. Ce que nous voyons, ce que nous savons ne conclut rien contre ce que nous ne voyons & ne savons pas ». En un mot c’est ce que l’on appelle argumentium ad ignorantiam ; argument peu philosophique qui ne prouve rien.

M. Clarke réplique : « Si la disjonction est complette, si j’ai énuméré toutes les différentes sortes de qualités ou propriétés dont la matière est capable, & que vous-mêmes vous n’en puissiez pas assigner une autre espèce, il me semble que vous devez convenir qu’elle contient toutes les qualités particulières connues ou inconnues que la matière peut posseder ».

1o. Il est vrai, si la disjonction est complette, elle contient toutes les qualités particulières connues ou inconnues, de la matière. Je n’ai garde de le nier, car ce raisonnement signifie en termes équivalens, que, si la disjonction est complette, elle est complette. Mais M. Clarke ne prouve point qu’elle l’est. Il distingue trois sortes de propriétés, il range toutes celles de la matière dans une seule classe, il appelle cela une disjonction, & il dit que cette disjonction est complette, sans en donner aucune preuve. Dans sa distribution, il parle de diverses qualités de la matière, que l’on connoît ; mais prouve-t-il que ces qualités connues soient exclusives de toute autre qualité inconnue d’une espèce différente : S’il ne le prouve pas, sa distribution est abusive : il n’a pas le droit de conclure de ce qu’il fait à ce qu’il ne fait pas. M. Clarke ne prend pas bien le sens de mon objection, lorsqu’il dit que sa disjonction doit être admise pour complette, ou que je dois assigner une nouvelle espèce de facultés propres de la matière qui n’y soit pas comprise. Car la nature de l’objection ne m’oblige pas de donner un nouveau membre à sa disjonction, mais elle lui