difficulté qui naît de la perception de la disconvenance réelle de ces idées incomplettes, est une démonstration aussi certaine de la fausseté de l’assertion qui y est sujette, que la perception de leur convenance est une démonstration de la vérité de l’assertion composée de ces idées. Donc, la distinction de M. Clarke, fondée ou non fondée, est tout-à-fait inutile dans la question présente.
5o. Les écrits des catholiques romains sur la transsubstantiation, & ceux de quelques théologiens protestans contre le socinianisme, pourroient donner lieu de croire que dans certaines questions, il peut y avoir des démonstrations également fortes pour & contre, d’où l’on seroit en droit d’inférer que la perception de la convenance ou de la disconvenance des idées n’est point une regle de vérité. Quant à moi, je dirai naturellement ma pensée. Je crois que tout ce qu’on peut démontrer, ne sauroit être sujet à des difficultés insolubles ; que tout homme qui entend bien la démonstration d’une vérité, est en état de résoudre toutes les objections que l’on peut faire contre cette vérité, & qu’en particulier on peut répondre clairement à toutes les difficultés que l’on propose ordinairement contre l’immensité & l’éternité de dieu, & que M. Clarke tient pour insolubles. Tout ce que je demande, pour y faire une réponse satisfaisante, c’est que M. Clarke veuille bien définir les termes d’immensité, d’éternité, d’être immatériel, & faire voir que les définitions qu’il en donnera s’accordent avec la réalité des choses auxquelles elles se rapportent.
» Notre raison, dit ce profond métaphysicien, est capable de percevoir clairement la démonstration de la vérité de certaines choses, quoique l’imagination ne soit pas en état d’embrasser toutes les idées des choses mêmes ». Cela signifie, si je ne me trompe, que nous pouvons concevoir clairement qu’il existe, par exemple, un être immatériel, autrement qu’il existe quelque chose de correspondant à l’idée que nous attachons à ces mots être immatériel, quoique nous ne soyons pas en état de comprendre tout ce qui existe dans l’être auquel notre idée se rapporte. Mais quoi ? s’ensuit-il qu’il y ait quelque différence entre les difficultés qui naissent de la perception de la disconvenance de deux idées complettes, & les difficultés qui résultent de la perception de la disconvenance de deux idées incomplettes ? Quoique je ne connoisse qu’en partie l’archétype auquel se rapporte l’idée que j’ai d’un être immatériel, s’ensuit-il que je ne puisse connoître un tel être, du moins autant que mon idée me le représente ? Et si l’on ne peut pas nier que je ne connoisse de cet être tout ce que contient l’idée claire que j’en ai, pourquoi ne serois-je pas en état de répondre à toutes les objections que l’on feroit contre l’existence de ce que je conçois clairement existant ? Y a-t-il même un autre moyen de m’assurer que les termes d’être immatériel, d’infinité, d’immensité &c. sont des idées intelligibles & significatives qui correspondent à de choses réellement existantes ? Si des idées intelligibles & significatives ne peuvent pas être dégagées de toute difficulté, de toute ambiguité, comment pourrai-je jamais concevoir de la différence entre l’intelligible & l’inintelligible, entre ce qui est conséquent & ce qui ne l’est pas ?
Cette explication met le lecteur intelligent à-même de juger si, « en regardant des difficultés reconnues pour insolubles comme des contradictions & des absurdités, je m’éloigne de cette honnêteté qui, selon M. Clarke, caractérisoit mes premières remarques ». J’espère que M. Clarke voudra bien encore se rétracter une seconde fois en ma faveur, puis qu’aujourd’hui il reconnoît l’honnêteté de mes premières observations qu’il avoit néanmoins méconnue dans sa seconde défense ; j’ai lieu de croire, après les éclaircissements que je viens de donner, qu’il rectifiera dans la suite ce qu’il m’impute dans sa troisième défense. Il est plus glorieux de reconnoître ses torts qu’il n’est honteux d’en avoir.
II. Je reviens à présent au point de la question, savoir si la matière peut avoir la faculté de penser. J’ai fair voir que l’étendue finie d’un être immatériel le rend aussi véritablement divisible que la matérialité du corps, & conséquemment que, suivant M. Clarke, un être immatériel d’une étendue finie, est aussi incapable de penser qu’un systême quelconque de matière. À présent, je vais tâcher d’accorder M. Clarke avec lui-même, en faisant voir que son argument, tiré de la divisibilité de la matière, ou, ce qui est la même chose, de son étendue, ne conclut rien. Voici cet argument : « Toutes les qualités ou propriétés, connues ou inconnues, qui sont dans la matière, ou qui lui sont vulgairement attribuées, se réduisent nécessairement à ces trois classes » :
« 1. Ou bien ce sont des qualités réellement & proprement inhérentes dans le sujet auquel on les attribue, comme la grandeur & le mouvement sont dans la matière. Ces qualités y sont toujours les sommes ou les aggrégats des facultés semblables inhérentes aux diverses parties du sujet matériel. Si donc le sentiment intérieur pouvoit être une qualité de cette espèce, réellement inhérente dans un systême de matière, elle y seroit la somme ou le résultat des sentimens intérieurs de ses parties, de sorte qu’il y auroit dans un tel systême autant de sentimens intérieurs distincts qu’il a de parties composantes.
» 2. Ou ce sont des qualités qui ne résident point réellement dans le sujet auquel on les attribue, mais qu’on doit regarder comme des modes excités & résidans dans quelqu’autre sub-