religion, & les raisons de M. Clarke ne sont guère propres à m’en convaincre.
1o. « Si l’esprit humain, dit M. Clarke, n’est qu’un systême de matière, & que la pensée ne soit qu’un mode du mouvement de ce systême, comme chaque détermination du mouvement dépend nécessairement de l’impulsion qui la cause, la pensée seroit une opération nécessaire dans l’homme, & entièrement dépendante des causes extérieures. Il n’y auroit donc en nous ni liberté, ni libre arbitre, ni détermination spontanée. Il ne faut pas un long raisonnement pour faire sentir si des montres & des pendules peuvent être des agens moraux & religieux ».
Je réponds en premier lieu que je n’ai point affirmé que la pensée fût un mode ou une espèce de mouvement dans un systême de matière. Ainsi la conséquence que l’on tire de cette assertion ne me regarde point, & fût-elle aussi juste & aussi concluante qu’on le prétend, elle ne prouveroit pas encore que mon sentiment fut destructif de toute religion.
En second lieu, quand j’aurois avancé que l’esprit humain n’est qu’un systême de matière, & la pensée une espèce de mouvement dans ce systême, que par conséquent il n’y a dans nous ni liberté, ni libre arbitre, ni détermination propre, pas plus que dans des montres & des pendules ; comment s’ensuit-il que mon sentiment soit destructif de toute religion ?
Des montres, dit-on, sont des êtres nécessairement déterminés dans leurs opérations, & conséquemment incapables de religion. Je pourrois dire, avec autant de raison, qu’une substance immatérielle étant aussi réellement étendue qu’une montre, elle est également incapable de religion. Qu’est-ce qui fait de l’homme un être religieux ? C’est son entendement. Et qu’est-ce qui empêche une montre d’être un agent religieux ? C’est qu’elle n’a point d’entendement. L’un & l’autre sont des agens nécessairement déterminés dans leurs actions, l’homme par l’apparence du bien & du mal, la montre par le ressort qui la fait aller. Comment cette ressemblance empêcheroit-elle l’homme d’être un agent religieux ? Un être intelligent & nécessaire ne peut-il être capable de religion, parce qu’un autre être nécessaire, privé d’intelligence, n’en est pas capable ? Quand M. Clarke m’aura prouvé qu’un agent intelligent n’est pas susceptible de religion, s’il est nécessité dans ses actions, je conviendrai avec lui que l’homme n’est pas plus un être religieux qu’une montre. J’irai même plus loin, & je conviendrai qu’il ne peut pas y avoir de religion. Car de toutes les spéculations relatives à l’esprit humain ou à tout autre sorte d’êtres intelligens, je n’en connois point de plus évidente que celle qui réduit l’homme ou quelque intelligence que ce soit à la seule liberté de faire ce qu’il veut, & de ne pas faire ce qui ne lui plaît pas. Si je veux rester dans ma chambre, j’ai la faculté d’y rester & si j’en veux sortir, je puis en sortir ; voilà en quoi consiste toute la liberté humaine. Quelle que soit la détermination de mon esprit, soit pour rester ou pour sortir, je puis toujours faire ce que je veux, à moins que quelque obstacle ne m’empêche de suivre ma volonté. Si, par exemple, la porte de ma chambre est fermée, je ne suis plus libre de sortir ou de rester. J’aurois beau vouloir sortir : je ne le pourrois pas. Si de même on me chassoit par force de ma chambre, je ne serois plus libre au même égard ; en vain je voudrois rester, je serois obligé de céder à la force, & de faire ce que je ne voudrois pas. Toutes les fois donc que je puis suivre les déterminations de ma volonté, je suis libre, c’est-à-dire, rien ne m’empêche de faire ce que je veux, & rien ne me force à faire ce que je veux pas. Car lorsque je préfère de sortir à rester, cette préférence de ma volonté me détermine aussi réellement à sortir, si je le puis, que les grilles & les verroux m’empêchent de suivre cette détermination de mon esprit. La seule différence est que dans une de ces circonstances je suis nécessité à faire ce que je veux, & que dans l’autre je fais forcément ce que je ne voudrois pas faire.
Telle est, selon moi, l’idée que l’on doit avoir de la liberté humaine. Si M. Clarke peut établir une autre espèce de liberté qui soit intelligible, d’accord avec elle-même & avec la connoissance que nous avons des actions de notre esprit, & s’il montre qu’agent nécessaire dans le sens que je viens d’exposer n’est pas capable de religion, alors il suivra de ses principes que l’homme n’est point un être religieux. Mais il me semble évident que nous ne saurions avoir d’autre idée intelligible & raisonnable de la liberté humaine que celle que j’en donne. C’est la seule qui soit conforme aux opérations des êtres intelligens, & qui soit proprement distinguée de la nécessité. Si M. Clarke attache quelque sens intelligible aux termes de liberté & de détermination propre, il entend par ces mots la faculté de vouloir ou de choisir l’un des deux contraires dans les mêmes circonstances ; c’est-à-dire ; que, quoique j’aime mieux rester dans ma chambre que de me jetter par la fenêtre, je pouvois, dans les mêmes circonstances où j’ai choisi de rester dans ma chambre, préférer de me jetter par la fenêtre ; ou en d’autres termes, que je pouvois préférer ce que je n’ai pas préféré, quoique les raisons de préférences continuassent à être les mêmes. Je dis, moi, que cette faculté est une contradiction formelle. Lorsque je préfère une chose à une autre, c’est sur des motifs qui me déterminent à cette