de penser à un nouveau corps seroit la création d’un nouvel homme ».
On se trompe, si l’identité personnelle consiste dans le sentiment intérieur, & si le sentiment intérieur réside dans un systême de matière lâche & dans un flux continuel, le sentiment intérieur ne peut pas plus périr à la dissolution du corps qu’il ne périt lorsque nous cessons un moment de penser, ou d’avoir ce sentiment intérieur présent à l’entendement. Je suppose que m’étant endormi je sois mis en pièces pendant mon sommeil, & qu’au matin toutes les parties de moi-même étant remises dans leur premier état je me réveille comme si j’avois profondément dormi toute la nuit. Je ne doute pas que je n’eusse alors tout le souvenir ou le sentiment intérieur que j’aurois, si j’avois persévéré dans mon état ordinaire. Cette supposition est l’image de la résurrection. Le sentiment intérieur n’est pas plus créé de nouveau dans un cas que dans l’autre. Il n’y qu’une suspension de l’acte de la pensée. Ainsi la réhabilitation de la faculté de penser dans le même corps, ou, si vous voulez, dans un autre corps, à la résurrection avec le souvenir ou le sentiment intérieur des actions de la vie, sera un rétablissement de la même personne, & non la création d’une nouvelle personne ; au lieu que l’union de la faculté de penser à un nouveau corps seroit la création d’un nouvel homme. La raison est que l’identité de l’homme consistant dans la continuité de la vie sous une certaine organisation des parties, il y a un nouvel homme de créé, lorsque la vie commence ; mais comme l’identité personnelle consiste seulement dans le sentiment intérieur ou le souvenir des actions passées, le rétablissement de ce sentiment intérieur rend à l’homme son identité personnelle dans l’autre monde comme dans celui-ci après une nuit de sommeil, ou un plus long tems. Ce souvenir ou ce sentiment intérieur assure l’homme ressuscité qu’il n’est point une nouvelle personne : car une nouvelle personne n’auroit que des idées neuves, & non point de souvenir ni de sentiment intérieur d’actions passées.
Il paroît que M. Clarke n’a pas la même notion que moi de l’identité personnelle. Il entend par la même personne individuelle, le même être numérique avec le même sentiment intérieur numérique persévérant en différens tems : c’est ce qu’on lit expressément en plusieurs endroits de sa troisième défense, & sur-tout vers la fin. En ce cas je conviens avec lui qu’à la résurrection il n’y aura point un rétablissement de l’individualité personnelle. Je me crois même en état de démontrer qu’une telle espèce de rétablissement de la personnalité est absolument impossible. Et voici comment je le démontre.
1o. L’être en tant qu’être n’est capable ni de récompense ni de châtiment.
2o. L’être n’est capable de récompense & de châtiment que comme être pensant ou doué du sentiment intérieur.
3o. Le sentiment intérieur résulte d’un certain nombre d’actes particuliers de la faculté de penser, qui, soit qu’ils résident dans une substance indivisible ou dans un systême de matière fluide, ne peuvent avoir chacun qu’une existence, & ne sauroient exister en différens tems comme les substances, mais périssent au moment qu’ils commencent.
4o. Puisqu’il est impossible que ces actes individuels numériques de la faculté de penser existent de nouveau lorsqu’ils passés, le même être numérique revêtu des mêmes pensées ou du même sentiment intérieur ne peut pas exister en deux tems différens, & conséquemment ne peut pas être puni ou récompensé pour une action qu’il a faite.
5o. Si donc l’identité personnelle consiste dans le même être numérique doué du même sentiment intérieur numérique, il ne peut pas y avoir de résurrection de la même personne ; ou même une personne quelconque ne peut pas être la même en deux tems différens.
Ainsi ma notion de l’identité personnelle est si éloignée de détruire le dogme de la résurrection, ou de le rendre impossible & incroyable, qu’il ne sauroit au contraire y avoir de rétablissement réel de la même personne que dans mes principes, savoir, en supposant que l’identité personnelle consiste dans le sentiment intérieur ou le souvenir, & que le sentiment intérieur ou le souvenir n’et autre chose que la représentation intellectuelle présente d’une action passée. Car dans cette supposition l’être pensant peut avoir à la résurrection un souvenir ou un sentiment particulier de ses actions passées, comme après une nuit de sommeil : au lieu que si le même sentiment intérieur numérique individuel, qui a existé dans ce monde, doit exister de nouveau à la résurrection, comme M. Clarke le prétend, cette espèce de résurrection renferme une condition absolument contradictoire.
Je ne vois qu’une seule objection contre ma notion de l’identité personnelle qui mérite une réponse. « Les parties de matière qui pendant le cours de vingt ou trente années ont composé successivement la substance de mon corps, peuvent suffire à composer vingt corps comme le mien ; si donc, répond M. Clarke, la réunion d’un sentiment intérieur semblable à celui que je trouve maintenant en moi, ajouté à un de ces corps, au tems de la résurrection en doit faire une même personne individuelle avec moi ; la réunion d’un pareil sentiment intérieur à vingt corps différens, en fera non pas seule-