Une dernière conséquence que les Celtes tiroient du même principe, & qui en résulte effectivement, c’est que tout ce qui se fait par les loix de la nature, est l’ouvrage même de la divinité, & non pas le simple effet du méchanisme des corps. Ils disoient « Que ce n’est pas aux êtres matériels qu’il faut attribuer la vertu de se mouvoir, & de le faire avec ordre. C’est l’intelligence que Dieu a unie aux corps, qui les pénétre qui les meut, & qui en regle tous les mouvemens. Ils ajoutoient que l’homme agit souvent vues & sans dessein ; qu’il n’a jamais que des vues courtes & bornées ; que tout ce qu’il fait se ressent ordinairement de la foiblesse de sa condition. Mais il ne faudroit pas connoître la divinité pour croire qu’elle puisse faire jusqu’à la moindre chose sans raisons ; toutes les vues sont grandes, nobles, profondes, dignes de la bonté, de la sagesse, & de la puissance d’un être infiniment élevé au dessus de l’homme ». Ils concluoient de là.
1o. Que le tremblement des feuilles d’un arbre, le pétillement & la couleur des flammes, la chute du tonnerre dans un lieu, plutôt que dans l’autre, étant l’ouvrage d’un être intelligent, se faisoit aussi dans des vues que l’homme devait tâcher de découvrir. Ce sont, disoient-ils, des instructions que Dieu donne au genre humain. Un homme sage doit y faire attention, & en tirer son profit.
2o. Rapportant à la même cause, & non pas au méchanisme, ou à l’instinct, les actions des brutes, ils prétendoient que l’homme peut tirer une infinité de présages & de leçons,[1] du vol & du chant d’un oiseau, de l’aboyement d’un chien, du hennissement d’un cheval, du sifflement d’un serpent, de la course d’un lievre. Zeftinsi, prince Germain, expérimenté dans la science des auspices,[2] ayant entendu un oiseau qui croassoit sur un arbre, déclara qu’il mourroit lui même au bout de quarante jours. Ainsi la femme d’un[3] esclave Thrace, qui étoit prisonniere avec lui parmi les romains, ayant vû un serpent qui s’entortilloit autour de la tête de son mari pendant qu’il dormoit, prédit par le même art, qu’il parviendroit bientôt à une puissance redoutable.
3o. On étendoit dans un certain sens la même réflexion jusqu’à l’homme. On disoit que tout ce que l’homme fait naturellement, machinalement, par un mouvement involontaire, & sans que la réflexion y intervienne, ne pouvant lui être attribué à lui-même, doit être regardé comme l’ouvrage d’une divinité qui avertit l’homme de sa destinée. Ainsi on trouvoit des présages dans le tremblement involontaire de l’œil, ou de quelque autre membre, dans l’émotion du poux, dans un éternuement, dans le bruit que font des vents renfermés dans les entrailles, & quelque chose de moins que cela. Tacite, par exemple, remarque,[4] que les Germains étoient dans l’opinion qu’il y avoit dans les femmes quelque chose de plus divin que dans les hommes, & qu’elles étoient plus propres pour recevoir le don de prophétie. La raison en étoit, que la nature agit plus sur les femmes, que la réflexion. On voit aussi dans Procope,[5] qu’une terreur panique ayant saisi deux armées qui étoient sur le point d’en venir aux mains, les deux partis en conclurent, que cette frayeur salutaire étoit l’ouvrage d’une divinité, qui ne vouloit pas que les gépides & les lombards se ruinassent réciproquement.
Il paroît par ce que je viens de dire, que ce dogme, qu’une divinité réside dans tous les êtres corporels, étoit, parmi les Celtes, le fondement d’une infinité de folles superstitions. Comme elles faisoient l’essentiel de la religion de ces peuples, elles étoient aussi le grand objet des recherches de leurs Druides. Il ne faut pas être surpris, par conséquent, que la jeunesse des Gaules, dont on confioit ordinairement l’éducation au clergé, employât jusqu’à vingt années[6] entières à ces belles études. On pourroit s’y appliquer pendant un grand nombre de siècles, sans y être plus avancé. Les anciens habitans de la Toscane étoient adonnés aux divinations. J’ai prouvé évidemment ailleurs qu’ils étoient un peuple Celte ; Les Perses aussi faisoient un grand cas de la magie. Descendant des Scythes, ils en conservèrent long-tems les superstitions.
- ↑ Sed barbari hi quos dixi, contendunt & esse Deos, & nostri curam gerere, & prœsigtificare futura, per aves, per symbola, viscere, & alias quasdem observationes, et doctrinas. Quorum ergo præscientiam homines ex Deorum ergo illos providencia habere possint, ea magna ex parte per insomnia et stellas aiunt antes significari. Ælian, V. H. lib. 2. cap. 31. Voyez ce que j’ai dit ci-dessus.
- ↑ Procop. Goth. liv. 4. cap. 20. p. 621.
- ↑ Spartaci, cum primus Roman venalis ductus est, aiunt serpentem dormientis circumjectum faciei visum. Uxor autem, ejusdem cum Spartaco generis, fatidica, & numine Bacchi afflata, dixit id signum esse ei ; magnæ & terribilis potentiæ quæ in lætum finem desatura esset. Plutarch. Crasso. Tom. 1. p. 547.
- ↑ Inesse quinetiam sanctum aliquid & providum putant, nec aut consilia earum aspernantur aut responsa negligunt. Tacit. Germ. cap. 8
- ↑ Procop. Gotth. lib. 3. cap. 18. p. 625.
- ↑ Cæsar. 6. 14.