nella ne pouvoit guère se justifier dans l’opinion publique. Il faisoit le prophète, & prédisoit plusieurs changemens qu’il croyoit devoir arriver. » S’il s’en fut tenu là, dit un journaliste estimé, on auroit pu simplement le traiter de visionnaire, & l’envoyer tout au plus aux petites maisons. Mais il imitoit la plupart des nouveaux prophètes, qui, après avoir prédit plusieurs événemens, quelquefois funestes aux états, font tous leurs efforts pour faire arriver leurs prédictions, & joignent à la qualité de faux prophètes,[1] assez méprisable en elle-même, celle de séditieux, qui mérite toujours punition. Lorsqu’ils ne peuvent pas eux-mêmes procurer ces changemens par la force des armes, ils tâchent de les accélérer par des écrits pernicieux & incendiaires qu’ils répandent partout avec soin, & avec profusion : » (voyez la preuve de ce fait dans la conduite constante des prêtres & des ci-devant nobles, depuis la révolution).
Campanella composa dans sa prison plusieurs ouvrages que ses disciples & ses amis eurent soin de publier, ainsi que la plupart de ceux qu’il fit depuis l’époque où on lui rendit sa liberté. Ce fut Urbain VIII qui la lui procura en 1626. Ce pape le connoissoit par ses écrits ; & le prétexte dont il se servit pour le tirer des mains des espagnols, c’est que Campanella ayant écrit contre l’église romaine, il devoit être transféré à Rome pour y être jugé par des juges ecclésiastiques. Mais les Espagnols le haïssoient trop pour le laisser en repos, Campanella sçût qu’ils machinoient quelque chose contre lui, & il se sauva en France en 1634.
Il fut très-bien reçu de Louis XIII & du cardinal de Richelieu qui le consulta souvent sur les affaires d’Italie. On dit que ce ministre lui ayant demandé si le duc d’Orléans parviendroit à la couronne, Campanella lui répondit : imperium non gustabit in sternum ; il ne goûtera jamais de l’empire.
Ce moine brouillon & intolérant, comme ils le sont tous, plus ou moins, passa le reste de sa vie dans la maison des Jacobins de la rue saint honoré, & il y est mort le 21 de Mai 1659, âgé de plus de 70 ans.
Cyprianus croit que dans le fonds Campanella n’ait point de religion, mais qu’il la servir à ses passions & à son intérêt selon les circonstances : sans préjuger ici ce qu’on doit penser de la religion de ce moine[2] Italien, & par conséquent très-suspect sur l’article en question, j’observerai en général qu’aux yeux du philosophe, je dirois presque du chrétien, si ses principes lui permettoient de faire usage de la raison, le grand mal n’est pas d’avoir secoué le joug des préjugés religieux ; sur-tout lorsqu’on est arrivé à ce terme par la vraie route, c’est-à-dire, par la voie de l’examen & de la discussion. Mais ce qui est blamable dans tous les systêmes ; ce que la saine morale condamne justement & sans restriction, c’est de faire servir à l’avancement & au succès de ses affaires une religion qu’on croit fausse au fond de son cœur. Rien de plus lâche, de plus vil, & néanmoins de plus commun que cette espèce d’hypocrisie ; on n’est point obligé d’admettre comme vrai, comme révélé ce qui paroît absurde sur le simple énoncé, & ce qu’on trouve encore tel, après l’avoir passé, pour ainsi-dire, à la coupelle d’une logique exacte & rigoureuse : mais on est obligé d’être sincère avec soi-même & avec les autres. Ce n’est ni du juif, ni du chrétien, ni du déiste dont on a besoin dans la société, c’et de l’honnête homme : ce n’est pas à sa religion, c’est à sa probité qu’on a affaire : que son credo soit d’ailleurs court ou chargé d’articles, peu importe ; mais ce qui n’est pas indifférent, c’est de savoir quelle est la teneur de sa vie : voila le juge incorruptible, & dont personne ne peut récuser le témoignage. Campanella étoit d’un pays où la religion n’est qu’un instrument dont on se sert avec plus ou moins d’habileté pour arriver à ses fins ; & il suivoit le torrent : mais à cette impulsion qu’il avoit reçue de l’exemple & de l’usage constant de la cour de Rome, il joignoit encore l’intolérance ordinaire des prêtres & des moines, car il vouloit qu’on extirpât par le fer & par le feu tous ceux qu’il appelle hérétiques, c’est-à-dire en d’autres termes, tous ceux qui ne croyent pas à la religion du pape. Il dit que Charles-Quint fit bien de tenir à Luther la promesse qu’il lui donna, lorsqu’il alla à la Diéte de Worms, mais qu’à son retour, il devoit le faire périr, de même que tous les princes qui le protégoient.
Ces principes atroces ne doivent pas surprendre dans un moine, & sur-tout dans un dominicain : il y a long-tems que l’esprit de persécution domine dans cet ordre, & en général dans l’église que les mystiques appellent la douce épouse de Jésus-Christ ; mais on a peine à croire qu’un théologien qui avoit lui-même besoin de tolérance, puisque les opinions religieuses étoient directement opposées à la doctrine Orthodoxe, qui est toujours celle de ceux qui peuvent proscrire, n’ait pas senti l’injustice de refuser à des hommes, qui, au fonds s’écartoient très-peu des sentiers battus, une indulgence à laquelle ils avoient plus de droits que lui, & qu’ils auroient même obtenu plus facilement au tribunal san-