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lui de Dieu. Les Espagnols & les Gaulois l’appelloient teut, ou d’un nom composé[1] teutat, Dieu le père. Les Germains le nommoient tis ou teut, & souvent d’un nom appellatif god, vod, vodan, odin, c’est-à-dire, le bon. Les Thraces l’appelloient tis ou cotis, le bon tis. Les Grecs Δις, Ζεὺς ou θεὸς. Les Italiens dis, tus, deus avec une diphtongue, & quelquefois mantus, le bon tus. Il faut fournir des preuves de ce que je viens d’avancer. Commençons par les Espagnols.


Tite live, rapportant le siège de la ville de Carthagène, en Espagne, par Scipion l’Afriquain, dit[2] que ce général ayant passé sur une colline, que les habitans du pays appelloient Mercure teutates, s’apperçut que les murailles de la ville étoient dégarnies de troupes en plusieurs endroits. On voit ici que les habitans de Carthagène servoient le Dieu teut ; qu’ils lui offroient un culte religieux dans un lieu ouvert, sur une colline voisine de leur ville ; qu’ils donnoient à cette colline le nom du Dieu qui y étoit adoré ; & enfin que les Romains étoient dans l’idée que ce teutates étoit le même Dieu que Mercure. Nous dirons tout à l’heure la raison de cette méprise. Passons à une seconde preuve.

2o. Strabon, parlant des Celtibères & des peuples qui leur étoient voisins du côté du septentrion, dit[3] qu’ils avoient accoutumé de s’assembler de nuit, dans le tems de la pleine lune, à l’honneur d’un Dieu sans nom ; & qu’ils passoient tout la nuit à danser & à se réjouir avec leurs familles hors des portes. Pour entendre ce passage, il faut remarquer que les Grecs & les Romains donnoient à leurs dieux un nom commun, & un nom propre. On trouve, par exemple, dans les inscriptions, Deo Mercurio, Deo vulcano. Dieu est le nom commun ; ceux de Mercure, de Neptune, de Vulcain, sont les noms propres de chaque divinité. Le Dieu des Celtibères n’avoit point de nom particulier. Quand on leur demandoit le nom du Dieu qu’ils adoroient, ils disoient qu’il s’appelloit Deus, ou teut. C’est ce que Strabon appelle un Dieu sans nom. Au reste on trouve dans ce passage plusieurs autres coûtumes qui étoient communes aux Celtibères, avec tous les peuples Celtes. Ils tenoient leurs assemblées les plus solemnelles, de nuit, & hors des portes. Ils célébroient particulièrement le jour, ou plutôt la nuit de la pleine lune ; c’étoit ne de leurs fêtes. Les danses, & les festins faisoient partie du culte religieux qu’ils offroient à leurs dieux.

3o. On sait que les Phéniciens, s’étant emparés de l’isle de Gades, y bâtirent un célèbre temple en l’honneur d’Hercule, & donnèrent à l’isle le nom de gadeira. Denis le Periegète remarque[4] qu’avant ce tems-là, les habitans naturels du pays appelloient cette isle Cotinusa, ce qui signifie, comme je l’ai remarqué ailleurs, la maison, l’habitation du dieu Tis. Il est vrai que le Scholiaste du géographe prétend que l’isle reçut le nom de Cotinusa, parce qu’on y trouvoit beaucoup d’oliviers sauvages, que les Grecs appelloient kotinus. Mais puisque les Phéniciens étoient dans l’isle long-tems avant qu’elle fut connue des Grecs, & qu’elle portoit déjà le nom de Cotinusa, lorsque les premiers y envoyèrent une colonie, il est certainement ridicule de donner à ce nom une étymologie grecque.

4o. Ajoutons enfin que l’on trouve en Espagne, comme dans toute la Celtique, des noms propres d’hommes & de villes, dans la composition desquels le nom de Teut ou de Tis, entre manifestement. Le chef, par exemple, qui commanda les Espagnols, après la mort de Viriatus, s’appelloit[5] Teutamus. Le nom aussi des villes de[6] Cottaobriga, Deobriga, Deobrigula, dési-

  1. Tat, Tad, Pere. Pezron, antiquité de la nation & de la langue des Celtes p. 416. Rostrenen, dictionaire Celtique. p. 732.
  2. Quod ubi egressus Scipio in tumulum, quem Mercurium Teutatem vocant, animadvertit multis partibus nudata defendoribus mœnia esse. Livius, lib. 6. cap. 44. C’est ainsi que portent les anciennes éditions de Tite Live. Celle de J. F. Grovinius, dont je me suis servi, n’a pas le mot de Teutates. Jaques Grovinius, fils du premier, reprend même fort aigrement Ouzel, (not. ad Minut. Felic. cap. 6. p. 54) d’avoir conservé ce mot en citant le passage de Tite Live. Quand le mot de Teutates seroit une glose, ce qui n’est pas vraisemblable, n’y ayant qu’un seul manuscrit où il ne se trouve point, la glose ne laisseroit pas d’être juste, parce qu’il est constant que les Grecs & les Romains donnoient ordinairement le nom de Mercure au Teutates des Celtes.
  3. Celtiberos perhibent, & qui ad septentrionem corum sunt vicini, innominatum quemdam Deum, noctu in plenilunio ante portas cum totis familiis, choreas ducendo, totamque noctem feftam agendo ; venerari. Strabo, lib. 3. p. 164.
  4. In medio columnarum occiduarum, ultima gadeira apparet hominibus, insula circumflua, in finibus oceani, ibi phœnicum hominum genus inhabitant, venerantes magni Jovis filium Herculem ; & hanc quidem incolæ, ætate prorum hominum, Cotinusam dictam, Gadeira vocarunt. Dionys. Perieg. vf. 450.

    Cotinousa, vel Cotinoessa dicta ætate priorum hominum, tanquam multas habens kotinous quæ sunt species oleæ agrestis. Eusiath. ad h. l. p. 74

  5. Diodor. Sicul. lib. 32. p. 795.
  6. Cottæbriga, Deobriga Vettonum. Ptolem. lib. 2. cap. 5. p. 41. Deobrigula Murbocum. Deobriga Autrigonum. Ibid. cap. 6. p. 45.