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BAL
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ceux qu’on a faits juſqu’à préſent ; peut-être avoit-il encore pour but qu’en cas d’accident un aéroſtat ſuppléât à l’autre ?

Mais quelque ſpécieuſe que put être cette raiſon, une idée de preſcrition ſe préſente d’abord ; le feu qui eſt dans un de ces aéroſtats peut, par ſa proximité, occaſionner une dilatation trop grande du gaz inflammable contenu dans l’autre, & produire une rupture dans l’enveloppe du premier, au moins dans quelques circonſtances qui peuvent ſe préſenter. On ſe rappelle que l’aéroſtat du Champ de Mars fut trouvé avec une déchirure dans ſa partie ſupérieure, & que cet effet qu’on avoit prédit quand on le vit remplir entièrement de gaz, réſulta d’un excès de raréfaction, occaſionné par une trop grande diminution de preſſion de l’air extérieur dans les couches ſupérieures de l’atmoſphère où l’aéroſtat parvint. Dans la combinaiſon des deux moyens employés par M. Pilatre, les deux cauſes de raréfaction pouvoient être réunies, & produire par leur aſſociation une plus grande expanſion capable de déchirer l’enveloppe de l’aéroſtat à gaz inflammable. S’il en faut croire quelques relations, cette cauſe n’auroit pas produit l’accident dont nous parlons : car on a écrit qu’il n’y avoit preſque point de feu dans le foyer de la montgolfière, le réchaud étant couvert, & les toiles n’étant point brûlées, quoique ce dernier effet eût eu lieu dans d’autres circonſtances, lorſque l’aéroſtat touchoit la terre. Mais il n’eſt pas ſûr que dans la chute le réchaud n’ait été recouvert, & que le feu ne ſe ſoit preſque éteint avant l’arrivée des ſpectateurs.

On a eu recours à l’électricité pour expliquer la cauſe de cette funeſte cataſtrophe ; mais c’étoit oublier que le gaz inflammable, lorſqu’il n’eſt pas mêlé avec l’air atmoſphérique, ne peut s’allumer par l’étincelle électrique. Or, les précautions qu’avoient priſes M. Pilatre de Rozier en chargeant ſon aéroſtat, ainſi que nous le tenons d’une perſonne qui avoit aſſiſté aux opérations, prouvent qu’il n’y avoit pas un mélange ſenſible de l’air ordinaire. Une étincelle électrique, ſuppoſée éclater dans l’atmoſphère, n’a donc pu allumer le gaz inflammable, & produire une exploſion ou diſruption de l’enveloppe ; de plus un aéroſtat, en s’approchant d’un nuage électrique, ſe chargeroit peu à peun du fluide électrique qui formoit l’atmoſphère de ce nuage, & enſuite environné d’une atmoſphère électrique ſemblable, nulle étincelle ne pourroit éclater entre eux, lorſqu’ils ſont électriſés de la même manière.

On a encore aſſigné pour cauſe de cet événement fatal la déchirure du ballon, qui fut occaſionnée par le frottement de la corde qui gouvernoit la ſoupape, placée à cent pieds environ de diſtance des aéronautes. L’aéroſtat ſupérieur, rempli de gaz inflammable, étoit formé par douze fuſeaux de taffetas enduit de vernis ; depuis ſix mois il avoit été conſidérablement fatigué par pluſieurs tentatives inutiles de départ. Or, l’expérience a prouvé aſſez conſtamment que les différentes enveloppes qu’on a emplyées ſont devenues très-fragiles, lorſqu’elles ont été tourmentées ſucceſſivement, & ſur-tout lorſqu’elles ont été expoſées aux intempéries de l’air & aux viciſſitudes des ſaiſons. En tirant donc cette corde de la ſoupape, qui étoit très-longue, & ne pouvoit par conſéquent jouer facilement, ſon frottement rude a dû déchirer l’enveloppe, le gaz ſe diſſiper par cette longue ouverture ; & comme la montgolfière n’étoit pas alors aſſez développée, la machine a dû, n’ayant pas ſuffiſamment de légèreté ſpécifique, tomber avec une très-grande vîteſſe. Voilà une nouvelle preuve des inconvéniens qu’il y a de mettre trop de complications dans la conſtruction des machines ; en les ſuppoſant très-bien faites, on éprouve toujours beaucoup de difficultés à les gouverner.

M. de Maiſonfort, qui devoit monter cet aéroſtat, & qui fut forcé de céder ſa place à M. Romain, dit, dans ſa relation, que la machne aéroſtatique fut entraînée par des courans divers, & repouſſée ſur la côte de France. « Dans ce moment, ſans doute, M. Pilatre de Rozier, ainſi que nous en étions convenus enſemble, voulant deſcendre & chercher un courant plus favorable, ſe ſera déterminé à tirer ſa ſoupape, qui, mal racommodée & trop dure, aura exigé apparemment & des efforts, & peut-être une ſecouſſe violente ; c’eſt alors que le taffetas a crevé, quen la ſoupape eſt retombée dans l’intérieur du globe, & que l’air inflammable, tendant à s’élever, & voulant ſortir par l’iſſue de dix pouces qui venoit de ſe faire, l’enveloppe pourrie par des eſſais inutiles, & par un laps de temps conſidérable, a cédé, & s’eſt ſeulement déchirée ſans éclater ; car un payſan, éloigné de cent pas, n’a entendu, m’a-t-il dit, qu’un bruit très-léger, tandis qu’une détonation totale en devoit produire un très-fort. J’ai vu l’enveloppe de l’aéroſtat retomber ſur la montgolfière ; la machine entière m’a paru alors éprouver deux ou trois ſecouſſes, & la chute s’eſt déterminée de la manière la plus violente & la plus rapide. Les deux malheureux voyageurs ſont tombés, & ont été trouvés fracaſés dans la galerie, & aux mêmes places qu’ils occupoient à leur départ ».

Il y en a qui ont prétendu avoir vu une colonne de flamme au-deſſus du ballon ; peut-être que cette apparence n’a dépendu que d’une l’illuſion d’optique. Si ce fait étoit vrai, le gaz inflammable ſortant du ballon, & en contact avec l’air de l’atmoſphère, auroit donc brûlé comme celui qu’on force à s’échapper d’une veſſie en la comprimant. Mais quelle auroit été la cauſe de cette inflammation ? Des météores ignés, qui auroient pris naiſſance à point nommé.