Page:Encyclopédie méthodique - Physique, T1.djvu/495

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livres, il s’enſuit qu’une toiſe cube de cet air peſera environ quinze livres & 2 onces ; & celui de la région ſupérieure étant la moitié plus léger, la toiſe cube ne peſera plus qu’environ 7 livres 9 onces. Ce ſera cet air qui remplira la capacité du vaiſſeau ; c’eſt pourquoi nous l’appellerons l’air intérieur, qui réellement peſera ſur le fond du vaiſſeau, à raiſon de 7 livres 9 onces par toiſe cube ; mais l’air de la région inférieure lui réſiſtera avec une force double, de ſorte que celui-ci ne conſumera que la moitié de la force pour le contrebalancer, & il lui en reſtera encore la moitié, pour contrebalancer & ſoutenir le vaiſſeau avec toute ſa cargaiſon ».

» Le vaiſſeau que nous avons lancé en idée ſur la région de la grêle, eſt de figure cubique ; mille millions de toiſes cubes peſant chacune 7 livres 9 onces, font 7 562 500 000 livres, ou 75 625 000 quintaux. Notre vaiſſeau ſe ſoutiendra donc dans la région où nous l’avons placé, pourvu qu’avec ſa cargaiſon, il ne pèſe pas au-delà de 7 525 000 quintaux. Mais parce que, pour naviger ſans danger évident, il faut que le vaiſſeau élève ſes bords juſqu’à une certaine hauteur au-deſſus de ſon fluide, autrement, à la moindre ſecouſſe, le fluide y entreroit, & le feroit couler à fond, allégeons notre vaiſſeau de 5 625 000 quintaux, & ne lui laiſſons pour tout ſon poids, avec ſa cargaiſon, que 70 000 000 de quintaux. Par le moyen de cet allégement, qui ſeroit un peu plus que la douzième partie de tout le poids, ce vaiſſeau s’éléveroit au-delà de 83 toiſes au-deſſus de la région de la grêle ſur laquelle il navigeroit.

» Qui de 70 000 000 quintaux, ôte 12 000 000 quintaux que peſeroit le ſeul corps du vaiſſeau, reſte encore pour ſa cargaiſon 58 000 000 quintaux ; ce qui iroit 54 fois au-delà de ce que pouvoit peſer l’arche de Noé, avec tout ce qu’elle contenoit d’animaux & de proviſions pour un an que dura le déluge… Quand bien même il entreroit dans notre vaiſſeau quatre millions de perſonnes, peſant chacune trois quintaux, ce qui eſt un poids au-deſſus de ce que pèſe le commun des hommes, & que nous permettrions à chacune de ces perſonnes d’avoir avec lui 9 quintaux en proviſion ou en marchandiſes, tout cela ne feroit encore qu’une charge de quarante huit millions de quintaux. Il s’en manqueroit donc encore dix millions de quintaux, pour ſon entière cargaiſon : je comprends donc, qu’il ne ſeroit pas néceſſaire de conſtruire, pour notre navigation aérienne, des vaiſſeaux d’une ſi prodigieuſe grandeur. Quant à la forme qu’il faudroit donner à ces vaiſſeaux, elle ſeroit ſans doute bien différente de celle dont nous venons de parler. Il y auroit beaucoup de choſes à ajouter ou à réformer, pour les rendre commodes, & bien des précautions à prendre pour obvier aux inconvéniens ; mais ce ſont des choſes que nous laiſſons aux ſages réflexions de nos habiles machiniſtes.

» Cette navigation au reſte ne ſeroit pas ſi dangereuſe que l’on pourroit ſe l’imaginer : peut-être le ſeroit-elle moins que celle de mer. Dans celle-ci, tout eſt perdu lorſque le vaiſſeau vient à couler à fond ; au lieu que le cas arrivant dans celle-là, on ſe trouveroit doucement mis à terre, au grand contentement de ceux qui ſeroient ennuyés de voguer entre le ciel & la terre. Le vaiſſeau, en deſcendant ici bas, iroit avec une lenteur à ne rien faire craindre de funeſte pour les gens de dedans, la vaſte étendue de la colonne d’air de deſſous s’oppoſant à la vîteſſe de ſa chûte. D’ailleurs ce vaiſſeau, après même s’être ſubmergé & rempli d’air groſſier, ne peſeroit jamais un tiers de plus qu’un pareil volume de cet air. Il viendroit donc à terre beaucoup plus lentement que ne peut faire la plume la plus légère, puiſque cette plume, malgré ſa légèreté, pèſe grand nombre de fois plus que l’air en pareil volume, & par conſéquent beaucoup plus à proportion des maſſes, que ne ſeroit notre vaiſſeau ſubmergé ».

Il faut convenir que cette théorie du père Galien, qu’on n’a regardée peut-être, dans le temps où elle parut, que comme une extravagance, ou au moins un jeu d’eſprit, préſente des rapports frappans avec la découverte de MM. de Montgolfier. Mais il eſt probable que ces meſſieurs n’ont point eu connoiſſance de l’art de naviger dans les airs, de l’ingénieux dominicain ; & quand même ils l’auroient connu, il falloit réaliſer ce projet giganteſque en le refondant, & en cherchant à ſuppléer à cet air pris dans la région de la grêle par un air pris à la ſurface de la terre, & rendu plus léger par un moyen ſimple, celui de la chaleur ; il falloit élever ce vaiſſeau de la ſuperficie de la terre, dans les hautes régions de l’air, & ne pas l’y ſuppoſer tranſporté par l’imagination.

On a encore dit que quelques phyſiciens en France & en Angleterre avoient fait, en 1781, des bulles de ſavon avec de l’air inflammable, mais aucun d’eux n’a penſé, qu’en donnant au gaz inflammable une enveloppe ſolide & imperméable, on put ſaire ſoutenir des corps conſidérables en l’air, car on ne ſauroit en apporter aucune preuve ; il ſeroit étonnant qu’ayant eu l’idée de cette application, ils ne l’euſſent pas publié, ils ne l’euſſent pas mis à exécution. Ce ſont donc les meſſieurs Montgolfier qui, les premiers, ont fait cette découverte, & qui l’ont réaliſée par la plus brillante exécution ; & qui, après avoir eſſayé le gaz inflammable & différentes formes d’enveloppes, pour faciliter le procédé en grand, ont eu recours à l’air dilaté & à des enveloppes communes. C’eſt entre les mains des vrais inventeurs que l’idée de la découverte eſt devenue féconde par une variété de moyens tous efficaces ; & qu’après avoir ſubi toutes les ſortes de modifications, elle eſt ſucceſſivement parvenue par tous les degrés, juſqu’à ceux de la plus grande ſimplicité. Auſſi après quel-