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On voit dans Grégoire de Tours, & dans divers auteurs, que dans le ſixième, ſeptième & huitième ſiècles, il y eut vers le ſeptentrion des colonnes ardentes ſuſpendues dans le ciel, du côté de l’aquilon, des rayons de lumière qui couroient dans le ciel, qui ſembloient ſe choquer & ſe croiſer les uns les autres ; après quoi ils ſe ſéparoient & s’évanouiſſoient. Grégor. Turon. Hiſtoire des Francs, lib. 6 & 8.

Leibnitz, dans les mélanges de Berlin (Tome I. page 137) dit, d’après les annales de Saint-Bertin, que dans l’année 859, on vit durant la nuit des armées dans le ciel, pendant les mois d’août, de ſeptembre & d’octobre ; c’étoit depuis l’orient juſqu’au ſeptentrion, & au-delà, une lumière auſſi claire que le jour, & d’où ſembloient s’élever des colonnes ſanglantes.

Les aurores boréales parurent auſſi, très-ſouvent dans les ſiècles ſuivans. On peut voir Lycoſthènes, déjà cité ; ce ſont toujours des armées de feu, vues vers le ſeptentrion, & qui enſuite ſe répandoient par-tout le ciel, des torches ardentes & comme un ſang humain d’un rouge très-vif, des lances, des étincelles dans l’air, comme le fer rouge qui eſt frappé par un forgeron ; des poutres ardentes & d’une grandeur énorme qui s’abaiſſant depuis le ciel juſqu’à la terre, s’étendît de là dans les airs ſous une forme circulaire, &c. Quelquefois les apparences de ce phénomène ont été priſes pour des queues de grandes comètes dont les têtes étoient cachées ſous le nord, qui ne ſe montroient qu’une nuit, & qui ſembloient mettre tout un pays en feu ; car les comètes ont été auſſi en poſſeſſion de répandre la terreur & l’effroi. C’eſt à-peu-près ainſi que ſont décrites les aurores boréales, depuis le milieu du neuvième ſiècle juſques vers la fin du ſeizième, où elles ont été aſſez fréquentes, ſur-tout dans les années 1560 &1564, ainſi qu’il eſt prouvé par l’auteur d’un ancien livre Anglois intitulé, deſcription des météores, cité par M. Halley.

Mais au commencement du dix-ſeptième ſiècle, les idées s’épurent, les sciences ſortent des ténèbres où elles avoient été ſi long-temps enveloppées pendant les ſiècles d’ignorance ; les honteux préjugés qui avoient juſques-là dominé les eſprits, s’évanouiſſent, & dans l’aurore de la philoſophie on ne voit ces feux qui brillent vers l’aquilon, que comme des aurores boréales. C’eſt principalement aux lumières de l’illuſtre Gaſſendi, que nous ſommes redevables de cette heureuſe révolution dans la manière de penſer ; il ne vit ce phénomène qu’avec les yeux de la philoſophie, & c’eſt le bien voir. Cet illuſtre ſavant, qui l’obſerva pluſieurs fois, & ſur-tout le 12 ſeptembre 1621, lui a donné le nom d’aurore boréale, & je ne doute point que ce ſeul changement d’expreſſion n’ait beaucoup contribué à détruire les préjugés vulgaires, car l’expérience de tous les jours, démontre que la plupart des hommes qui n’aiment pas beaucoup à réfléchir, jugent ſouvent d’après les dénominations d’uſage.

Si on étoit curieux de voir une eſpèce de dénombrement ou de catalogue de toutes les aurores boréales qui ont été obſervées dans divers pays & par divers obſervateurs, depuis le commencement du monde juſqu’en 1739, on pourroit conſulter un ouvrage, plein d’érudition, & ce qui vaut encore mieux, de diſcernement, compoſé par M. Frobès ; profeſſeur de philoſophie à Helmſtad, dont le titre eſt : nova & antiqua luminis atque aurorœ borealis miracula, ſecundum ſeculorum atque annorum ſeriem, 1739. Comme il eſt inutile de remonter ſi haut, je remarquerai ſeulement que depuis l’an 583, juſqu’en 1739, exclusivement on compte 788 aurores boréales, dont le jour, le mois & l’année ſont assignés.

Nous allons préſenter ici une table abrégée du nombre des apparitions des aurores boréales, depuis l’année 394, juſqu’à l’année 1751. Avant cette époque il y a beaucoup d’incertitudes ; depuis, le nombre s’en eſt beaucoup accru, parce que les obſervateurs ont été plus multipliés ; & que, ſelon nous, ainſi que nous le prouverons, contre l’opinion de M. de Mairan, les apparitions des aurores boréales n’ont point eu de ceſſations, ni de repriſes périodiques, mais ont dépendu de circonſtances accidentelles, entièrement incalculables, & leurs obſervations ont été proportionnelles au nombre, & à l’aſſiduité des phyſiciens obſervateurs. Cette table n’a donc d’autre mérite que celui de faire connoître le réſultat de ce qui a été connu, plutôt que de ce qui a eu lieu réellement.

Table des Aurores boréales, depuis l’année 394 juſqu’à l’année 1751.
ANNÉES. Aurores
boréales
conſiderables.
Aurores
boréales
médiocres.

Total.
de 394 à 500. quelques-unes. quelques-unes. incertain.
502 1 0 1
584 1 0 1
585 1 0 1
de 770 à 778 1 quelques-unes incertain
808 0 1 1
859 3 quelques-unes incertain
871 0 1 1
930 1 0 1
956 0 1 1
979 0 1 1
992 1 0 1