En effet, ſi l’aurore boréale dépend de l’électricité des nuées, les jets de lumière paroîtront dans toute ſorte de direction à l’eſt & à l’oueſt, comme au nord, puiſque les nuées qui ſont vers l’orient & vers l’occident peuvent être électriques de même que celles qui ſont vers le pôle boréal, ainſi que l’expérience le prouve, le tonnerre tombant auſſi bien du côté de l’orient & de l’occident que du côté des autres points cardinaux. Néanmoins les aurores boréales ſont toujours dirigées vers le nord ou vers le midi.
La couleur propre à la lumière boréale ne ſeroit point blanchâtre & phoſphorique, elle reſſembleroit à celle qu’on voit briller dans les autres phénomènes électriques ; ce que les obſervations démentent hautement. Ce ſegment obſcur, ſurmonté d’un bel arc de lumière, ordinairement régulier & circulaire ou un peu elliptique, peut-il réſulter d’une électricité aérienne, produite dans des nues aſſemblées irrégulièrement & diſperſées de tout côté, au gré des vents qui ſoufflent de tous les points de l’horiſon ? je ne ſache pas que perſonne ait encore apporté de ſemblables preuves pour réfuter l’opinion que les phyſiciens électriſans ont d’abord imaginé pour expliquer la cauſe des aurores boréales par l’électricité des nuages ; mais elles n’en ſont pas moins décisives. Ce n’eſt réellement que dans notre ſentiment qu’on peut rendre raiſon, avec la plus grande facilité, de tous les phénomènes qui ſont propres aux aurores boréales ; & il n’y a que cette théorie où on puiſſe remarquer la plus grande conformité avec tous ceux que l’obſervation préſente, comme on le montrera dans un instant.
9o. Syſtême de M. l’abbé Bertholon. L’aurore boréale dépend, ſelon moi, de l’électricité des hautes régions de l’atmoſphère ; c’eſt une lumière phosphorico-électrique. Après avoir fait part à l’Académie des ſciences de Béziers, de mes principes, je leur donnai la forme d’un vrai ſyſtême, quelques années après, dans un mémoire lu à l’Académie des ſciences de Montpellier, le 18 & le 23 décembre de l’année 1777 ; & il fut enſuite imprimé dans le Journal de Phyſique, décembre 1778, pag. 442. Nous le préſenterons en entier dans un inſtant, parce qu’il paroît avoir été approuvé & ſuivi par pluſieurs auteurs. Franklin ſemble également en avoir adopté une partie, comme on le verra en comparant les ſuppoſitions ſuivantes, avec mes principes qu’on verra bientôt expoſés en détail.
10o. Opinion de M. de la Cépède. Ce ſavant penſe que le fluide électrique eſt un compoſé de l’élément du feu combiné avec de l’eau, que l’intérieur du globe, ce grand réſervoir de chaleur, eſt le lieu où s’opère principalement cette combinaiſon. Sous l’équateur la croûte de la terre donne un paſſage plus libre, au fluide électrique pour s’élever, parce que les corps les plus idio-électriques, tels que le verre, &c., deviennent les meilleurs conducteurs, lorſqu’ils ſont très-chauds & pénétrés de feu. Ce fluide électrique s’élevant dans les nuages, y forme les orages, & montent enſuite juſqu’aux confins de l’atmoſphère, à cauſe de ſa force expanſive, il y jouit en paix de ſes propriétés ; ce vuide eſt toujours plus ou moins rempli de la matière du feu, de l’élément du feu pur, & ſouvent de la matière de la lumière ; & c’eſt à ces parties de l’élément du feu qu’il renferme, que le vide doit ſa propriété d’attirer le fluide électrique ; celui-ci vague alors en liberté. Il s’éloigneroit bientôt de plus en plus de notre globe, s’il n’étoit retenu par cette force d’attraction inhérérente à toute matière &, qui, dans ce moment, l’emporte ſur l’expanſibilité qui lui vient de la répulſion mutuelle de ſes parties, & qui s’affoiblit & diminue comme le carré de ſa diſtance du centre de la terre augmente. Ce fluide arrivé aux confins de l’atmoſphère cède ſa place au nouveau fluide qui ſurvient, ſe porte ſur de nouvelles couches de l’air & parvient au-deſſus des régions ſeptentrionales. Là, il eſt forcé de s’accumuler, parce qu’il y rencontre le fluide arrivé des points de l’équateur différens de ceux dont il eſt parti ; d’où il réſulte qu’il paroîtra ſous la forme de lumière & qu’il y produira l’aurore boréale. De-là, les habitans des pôles ont conſtamment au-deſſus d’eux ces apparences brillantes.
Si des circonſtances particulières augmentent la quantité du fluide électrique, il rétrograde, & forcé de s’accumuler auſſi au-deſſus des régions ſituées ſous les zones tempérées, ils y produiſent encore ce phénomène qui paroît venir du nord, parce que c’eſt de ce côté que le fluide commencera s’accumuler, quoique ce ſoit réellement de l’équateur qu’il arrive. La lumière de l’aurore boréale ſuit encore les ondulations & les différens mouvemens de l’air qui compoſe les dernières couches. On peut voir ce ſentiment expoſé avec plus de détail dans le Journal de Phyſique, avril 1778. Nous expoſerons nos doutes ſur le ſyſtême ingénieux de cet habile phyſicien, après avoir rapporté auparavant le ſeconde opinion du phyſicien de Philadelphie.
11o. Second ſentiment de Franklin. Cet illuſtre phyſicien s’eſt cru enfin obligé d’abandonner ſa première hypothèſe ; & un an & demi après que j’eus lu, à l’académie des ſciences de Montpellier, qui ne fait qu’un corps avec celle de Paris, ma théorie, des aurores boréales, & après qu’elle eut été imprimée dans le journal de Phyſique, ainſi qu’on l’a vu il n’y a qu’un inſtant, il fit lire, le 14 avril 1779, à la ſéance publique de l’académie, un extrait de ſuppoſitions & de conjectures, ſur la cauſe des aurores boréales qu’on préſente ici.