un ſens profond, doit être attentif, ſerieux & réfléchi ; que le quadrupède, auquel l’odorat & le goût commandent, doit avoir des appétits véhémens & groſſiers ; tandis que l’oiſeau, que l’œil & l’oreille conduiſent, aura des ſenſations vives, légères, précipitées comme ſon vol, & étendues comme la ſphère où il ſe meut en parcourant les airs.
M. de Buffon eſt le premier qui ait uni la Géographie à l’Hiſtoire naturelle, & qui ait appliqué l’Hiſtoire naturelle à la philoſophie ; le premier qui ait diſtribué les quadrupèdes par zones, qui les ait comparés entr’eux dans les deux mondes, & qui leur ait aſſigné le rang qu’ils doivent tenir à raiſon de leur induſtrie : il eſt le premier qui ait dévoilé les cauſes de la dégénération des animaux, savoir, le changement de climats, d’alimens & de mœurs, c’eſt-à-dire l’éloignement de la patrie, & la perte de la liberté ; il eſt le premier qui ait expliqué comment les peuples des deux continens ſe ſont confondus ; qui ait réuni dans un tableau toutes les variétés de notre eſpèce, & qui, dans l’hiſtoire de l’homme, ait fait connoître, comme un caractère que l’homme ſeul poſsède, cette flexibilité d’organes qui ſe prête à toutes les températures, & qui donne le pouvoir de vivre & de vieillir dans tous les climats.
Dans le nombre des critiques qui s’élevèrent contre la premiere partie de l’hiſtoire naturelle de M. de Buffon, M. l’abbé de Condillac, le plus redoutable de ſes adverſaires, fixa tous les regards : ſon eſprit jouiſſoit de toute ſa force dans la diſpute. Celui de M. de Buffon au contraire y étoit en quelque ſorte étranger. Dans ces productions de deux de nos grands hommes, continue M. Vicq d’Azir, je ne vois rien de ſemblable ; dans l’une, on admire une poëſie ſublime ; dans l’autre, une philoſophie profonde. Pourquoi ſe traitoient-ils en rivaux, puiſqu’ils alloient par des chemins différens à la gloire, & que tous les deux étoient également ſûrs d’y arriver ?
Aux diſcours ſur la nature des animaux, ſuccéda leur deſcription. Autour de l’homme, à des diſtances que le ſavoir & le goût ont meſurées, il plaça les animaux dont l’homme a fait la conquête, ceux qui le ſervent près de ſes foyers, ou dans les travaux champêtres ; ceux qu’il a ſubjugués & qui refuſent de le ſervir ; ceux qui le ſuivent le careſſent ſans l’aimer ; ceux qu’il repouſſe par la ruſe ou qu’il attaque à force ouverte ; & les tribus nombreuſes d’animaux qui, bondiſſant dans les taillis, ſous les futaies, ſur la cîme des montagnes, ou au ſommet des rochers, ſe nourriſſent de feuilles & d’herbes ; & les tribus redoutables de ceux qui ne vivent que de meurtre & de carnage. À ces grouppes de quadrupèdes, il oppoſa des grouppes d’oiſeaux ; chacun de ces êtres lui offrit une phyſionomie, & reçut de lui un caractère ; il a décrit plus de quatre cents eſpèces d’animaux ; &, dans un ſi long travail, ſa plume ne s’eſt point fatiguée. Avec quelle nobleſſe, rival de Virgile, M. de Buffon, a peint le courſier fougueux, s’animant au bruit des armes, & partageant avec l’homme les fatigues de la guerre, & la gloire des combats ; & avec quelle vigueur il a deſſiné le tigre, qui, raſſaſié de chair, eſt encore altéré de ſang. Comme on eſt frappé de l’oppoſition de ce caractère féroce, avec la douceur de la brebis, avec la docilité du chameau, de la vigogne & du renne, auxquels la nature a tout donné pour leurs maîtres, avec la patience du bœuf, qui eſt le ſoutien du ménage & la force de l’agriculture ! Qui n’a pas remarqué, parmi les oiſeaux dont M. de Buffon a décrit les mœurs, le courage franc du faucon, la cruauté lâche du vautour, la ſenſibilité du ſerin, la pétulance du moineau, la familiarité du troglodite, dont le ramage & la gaîté bravent la rigueur de nos hivers, & les douces habitudes de la colombe, qui ſait aimer ſans partage, & les combats innocens des fauvettes, qui ſont l’emblême de l’amour léger. Quelle variété, quelle richeſſe dans les couleurs avec leſquelles M. de Buffon a peint la robe du zèbre, la fourrure du léopard, la blancheur du cygne, & l’éclatant plumage de l’oiſeau-mouche ! Comme on s’intéreſſe à la vue des procédés induſtrieux de l’éléphant & du caſtor ! Que de majeſté dans les épizodes où M. de Buffon compare les terres anciennes & brûlées des déſerts de l’Arabie, où tout a ceſſé de vivre, avec les plaines fangeuſes du nouveau continent, qui fourmillent d’inſectes, où ſe traînent d’énormes reptiles, qui ſont couverts d’oiſeaux raviſſeurs, & où la vie ſemble naître du ſein des eaux ! ».
Lorſque M. de Buffon avoit conçu le projet de ſon ouvrage, il s’étoit flatté qu’il lui ſeroit poſſible de l’achever dans ſon entier ; mais le temps lui manqua ; il vit que la chaîne de ſes travaux alloit être rompue ; il voulut au moins en former le dernier anneau, l’attacher & le joindre au premier. Pour s’occuper de l’étude des minéraux, il abandonna à son ami, M. Guéneau de Montbeillard, (V. Guénaud de Montbeillard) le ſoin de finir ſon traité des oiſeaux ; il projetta de reſſerrer ſon ouvrage dans des ſommaires, où ſes obſervations rapprochées de ſes principes, & miſes en action, offriroient toute ſa théorie dans un tableau mouvant. À cette vue, il en joignit une autre. « L’hiſtoire de la nature lui parut devoir comprendre non-ſeulement tous les corps, mais auſſi toutes les durées & tous les eſpaces. Parce qui reſte, il eſpéra qu’il joindroit le préſent au paſſé, & que de ces deux points il ſe porteroit ſûrement vers l’avenir. Il réduiſit à cinq grands faits tous les phénomènes du mouvement & de la chaleur du globe ; de toutes