ouvriers, les matelots vigoureux, les soldats infatigables. Les pertes en
hommes ne se réparent que dans les campagnes fertiles, où ils semblent
croître comme les plantes, qu’on y cultive. Les vallons arrosés par des
rivières, qui y entretiennent la fécondité, sont couverts de villages &
d’habitans. Dans tous les cantons, où l’espoir d’une subsistance assurée,
à l’aide du travail, appelle des colons, il se forme des établissemens;
les hommes s’y multiplient, la consommation que certaines manufactures en font, si j’ose ainsi m’exprimer, est plus considérable qu’on ne
l’imagine. La position gênante de forcée de beaucoup d’ouvriers pendant leur travail, l’air enfermé & altéré qu’ils respirent dans des lieux
souvent mal sains; les émanations, quelquefois funestes, des matières
qu’ils mettent en œuvre, sont autant de causes des incommodités ou des
maladies qui les attaquent, & dont une des suites est toujours la foible
constitution de leurs descendans. Ce n’est qu’au prix de la fante ou de
la vie de plusieurs milliers d’individus que se préparent ces étoffes qui
servent à la parure & à l’ameublement des riches; j’en atteste Lyon,
Nismes, Marseille, Tours, Sedan, Louviers, la Suisse & les Indes. La
marine, dont les besoins se renouvellent sans cesse, n’est pas moins
fatale à l’espèce humaine, à cause des périls de la navigation, du
scorbut, auquel sont sujets les gens de mer, & des mortalités qui
règnent sur ceux qu’on transplante dans des climats lointains. La
guerre est un fléau destructeur par sa nature; elle ne tarde pas à épuiser les troupes, qui les premières entrent en campagne. Ainsi qu’aux
manufactures & à la marine, il lui faut perpétuellement fournir de nouvelles recrues, & c’est dans la classe des cultivateurs qu’on peut les trouver.
L'agriculture entretient de deux manières le commerce tant extérieur qu’intérieur en procurant à la plupart des manufactures les matières premières & en produisant les denrées ou comestibles transportables. Quelque grande que soit en France la consommation du bled[1], toutes les provinces fournies, il en reste chaque année une grande quantité, qu’on peut vendre à l’étranger. Il est rare que les moissons manquent en même tems dans tout le royaume, parce que le terrein y étant de diverse nature, il est plus ou moins susceptible de l’influence des saisons. D’autres grains y croissent en abondance & remplacent le bled dans les tems de disette & dans les pays, où ce grain vient mal. La principale exportation consiste en vins, dont la récolte est immense, eu
égard à ce qu’on en boit en France. Une partie est convertie en eau-de-
- ↑ L’auteur qui traite des avantages & des désavantages de la France & de l’Angleterre, prétend que la grande consommation de bled en France en laisse très-peu pour l’exportation. Je crois qu’il n’étoit pas instruit du produit réel des récoltes.