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Les hôtels, demeures des grands seigneurs, sont des bâtimens élevés dans les capitales, & où ils font habituellement leur résidence. Le caractere de leur décoration exige une beauté assortie à la naissance & au rang des personnes qui les font bâtir ; néanmoins ils ne doivent jamais annoncer cette magnificence reservée seulement pour les palais des rois.

C’est de cette diversité de rang, du monarque aux grands princes, & de ceux-ci aux sujets, que doivent naître nécessairement les différens caracteres d’édifices ; connoissances indispensables qui ne peuvent s’acquérir que par l’étude de l’art, & particulierement par l’usage du monde ; c’est par ce dernier, n’en doutons point, qu’on arrive à la convenance, qu’on observe les bienséances, que le jugement s’acquiert, que l’ordre naît dans les idées, que le goût s’épure, & qu’on apprend à connoître positivement le caractere propre qu’il faut donner à chaque bâtiment. Certainement le rang du personnage qui fait bâtir, est la source où doivent se puiser les différens genres d’expressions dont nous voulons parler : or comment y arriver sans l’usage du monde, qui nous apprend à distinguer tous les besoins & le style convenable à telle ou telle habitation érigée pour tel ou tel propriétaire ? Par exemple, la demeure d’un prince [1] destiné par sa naissance au commandement en chef des armées ; celle d’un prélat [2] appellé au pontificat par une longue habitude au sacerdoce ; celle d’un premier magistrat [3], ou celle d’un ministre éclairé chargé du gouvernement, ne doit-elle pas s’annoncer différemment, & différer particulierement de celle d’un maréchal de France, ou d’un autre officier général, de celle d’un évêque ou d’un autre dignitaire ecclésiastique, de celle d’un président à mortier, &c. &c. personnages qui ne tenant pas le même rang dans la société, doivent avoir des habitations dont l’ordonnance annonce la supériorité ou l’infériorité des différens ordres de l’état ? Les premieres demeures, par exemple, seront des palais, palais de la seconde classe à la vérité ; les deuxiemes, seulement de grands hôtels ; dans celles-là on y observera avec certaines modifications le caractere que nous avons désigné pour la demeure des têtes couronnées ; dans celles-ci, une ordonnance plus simple : mais dans dans toutes les deux, pour la demeure du militaire, on devra faire présider un caractere martial, annoncé par des corps rectilignes, par des pleins à-peu-près égaux aux vuides, & par une Architecture qui puise sa source dans l’ordre dorique. Pour la demeure de l’homme d’église, on fera choix d’un caractere moins sévére, qui s’annoncera par la disposition de ses principaux membres, par des repos assortis, & par un style soutenu, qui ne soit jamais démenti par la frivolité des ornemens ; enfin, pour la demeure du magistrat, on saisira un caractere qui devra se manifester par la disposition générale de ses formes, & la distribution de ses parties, les seuls moyens de parvenir à désigner sans équivoque dès les dehors de l’édifice, la valeur, la piété, l’urbanité. Au reste, nous le répétons, il faut se ressouvenir d’éviter dans ces différens genres de composition la grandeur & la magnificence du ressort des palais des rois ; la grandeur, parce que l’intérieur des appartemens étant nécessairement moins vastes chez les particuliers que chez les grands, les hauteurs des planchers doivent produire dans les dehors moins d’élévation, moins de magnificence, parce qu’il est de convenance que les ornemens soient répandus avec moins de ménagement dans les maisons royales, que dans toute autre espece de bâtiment. Nous venons de dire que l’hôtel d’un militaire [4] devoit annoncer un caractere martial ; pour cela on fera choix de l’ordre dorique, parce que cet ordre étant considéré comme celui des héros, il convient que ce soit de cet ordre que soient puisés tous les membres d’Architecture qui entreront dans son ordonnance. Nous avons dit aussi qu’il étoit nécessaire que la résidence des prélats [5] annonçât moins de sévérité ; pour cela on devra choisir l’ordre ïonique, moins solide que le précédent, pour

désigner l’aménité qui doit caractériser l’habitation de l’homme d’église. Enfin nous avons recommandé que l’urbanité s’annonçât dans la décoration des façades de la demeure des magistrats [6] ; pour cet effet, on devra faire usage de l’ordre composite, qui par la double application de ses ornemens & sa proportion moins virile encore que le dorique & l’ïonique, paroît propre à annoncer à l’esprit les différentes fonctions de la magistrature. Ce n’est pas que l’ordre dorique ne pût être employé convenablement dans l’ordonnance de ces trois hôtels ; mais indépendamment qu’il paroît nécessaire d’apporter une sorte de variété dans l’ordonnance de nos édifices, il est important encore d’appeller à son secours l’expression de différens ordres, pour tâcher d’amener sur la scene dans les diverses productions des membres d’Architecture & des ornemens qui appartenant à ces ordres, contribuent à faire reconnoître avec moins d’équivoque l’usage particulier de chacun des bâtimens de même genre ; sans parler ici de ceux de genre différent, qui exigent à plus forte raison, chacun séparément, un caractere distinctif, d’où dépend le véritable succès de la décoration de toutes les especes de productions en Architecture. Passons à-présent au projet d’un grand hôtel de notre composition, dans lequel nous avons tâché de faire entrer la plus grande partie des pieces de parade, de société & de commodité avec les dépendances qui leur sont nécessaires.

PLANCHE XXIII.
Projet d’un grand Hôtel de quarante toises de face.

Persuadés que le premier mérite d’un plan consiste dans la beauté des enfilades principales, nous les avons observées ici, & avons pris soin de les exprimer par des lignes ponctuées. Nous avons aussi fait en sorte que le centre du grand sallon se rencontre dans les deux maîtresses enfilades, avantage considérable, & qui se trouve rarement dans nos édifices françois, à l’exception de nos maisons royales. Une des choses qui nous a paru aussi fort essentielle, c’est que des péristiles amenent à couvert depuis l’entrée de l’hôtel jusqu’aux appartemens. D’ailleurs ces péristiles en colonades donnent un air de dignité à ces sortes d’habitations, qui les distingue des maisons ordinaires, sans pour cela leur donner la somptuosité des palais des rois, qui se manifeste non-seulement par beaucoup plus d’étendue, mais encore par des avant-cours, des places d’armes, & une infinité d’autres dépendances de leur ressort. Peutêtre eût-il été bien aussi d’observer dans cette distribution un porche, qui de la cour d’honneur eût fait descendre les maîtres à couvert dans leur appartement ; mais il s’agissoit de faire ici un grand hôtel de 75 toises de largeur entre deux murs mitoyens, & de l’annoncer par une grande cour qui indiquât par son aspect le rang du personnage qui devoit l’habiter ; en sorte que les basses cours devenant petites, ne pouvoient raisonnablement permettre le porche que nous desirons ici. A ce défaut, que nous avouons n’être pas peu considérable, voici comme on y pourroit remédier : ce seroit d’avancer de neuf à dix piés les six colonnes de front placées au-devant du vestibule, en sorte que les voitures pourroient passer entre ces colonnes & les murs de face, moyen qui peut se mettre en pratique dans cette distribution, mais qui ne peut avoir lieu que dans le cas d’une cour d’un certain diametre, à cause de l’échappée des carrosses & de la pente du pavé qu’il est nécessaire de gagner de loin, pour que le sol du porche proposé se trouve, à quelque chose près, à niveau du vestibule. Nous nous sommes contentés d’annoncer cette saillie, sans l’exprimer sur cette Planche. Nous avouons sincérement que cette idée ne nous est venue que depuis sept ou huit années que ce projet est gravé ; tems depuis lequel nous avons apperçu plus d’une fois l’incommodité que les grands éprouvent, de n’arriver pas à pié sec dans l’intérieur de leur habitation, avantage néanmoins qui se rencontre rarement dans nos hôtels, mais que nous conseillons à tous les propriétaires & à nos jeunes architectes, comme un des points essentiels pour ce qui regarde la commodité.

  1. Telle que celle du duc d’Orléans.
  2. Telle que celle de l’archevêque de Paris.
  3. Telle que celle du chancelier de France.
  4. Tel que celui de Soubise.
  5. Telle que l’hôtel de Rohan.
  6. Telle que pourroit être l’hôtel Molé.