Page:Envers de la guerre - tome 2-1916-1918.djvu/178

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ils nient. Pourquoi ? Peut-être parce que la presse a honni la paix russe et qu’ils veulent une défection totale, une malédiction absolue. Peut-être parce qu’ils ne veulent pas reconnaître l’injustice de leur blâme. Peut-être parce qu’ils voient là une possibilité de paix générale prochaine et qu’obscurément ils la veulent lointaine.

C… me donne aussi des détails sur l’accident de Saint-Michel-de-Maurienne où 439 permissionnaires venant d’Italie furent brûlés dans un train déraillé. La moitié d’entre eux ne peuvent pas être identifiés. On a décidé de dire aux familles qu’ils sont morts glorieusement. Bénéfice pour elles et pour la compagnie. Les journaux ont observé sur le tout un silence religieux.

— Chez Victor Margueritte, avec Anatole France, Accambray. Après le repas, France est installé sur un sofa, des coussins dans le dos, deux jeunes femmes à ses côtés. Et il est superbe, prophétique, les yeux noirs scintillants, la barbe blanche animée, le verbe plus précis que de coutume.

Nourri de la Révolution, il veut la décalquer sur le présent. Clemenceau devient Robespierre, et Caillaux Danton.

Un aphorisme de lui : « Les militaires trouvent toujours le criminel. Ils ne trouvent jamais le crime. »

— Le 20, Anatole France vient me chercher à 10 h. ½. Je l’accompagne à l’usine Pathé où on le filme pour l’Amérique, en préface de Thaïs. Un ouvrier me dit : « On dirait qu’il n’a jamais fait que cela de sa vie. » Puis, visite de l’usine de pellicules et de masques asphyxiants. À midi et demi nous sommes au Canard enchaîné, qui nous a invités. Curieux déjeuner, dans la salle de réunion de cette feuille humoristique, servi par la femme du directeur Maréchal, « afin de n’être pas écoutés par les