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Page:Envers de la guerre - tome 2-1916-1918.djvu/229

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— Clemenceau reste très populaire, surtout dans les classes que notre mode d’instruction a laissées encore incultes. Dans les caves, le 11 mars, quand on apprit le bombardement du ministère de la Guerre, on soupirait : « Pourvu que M. Clemenceau soit à l’abri ! » L’amour de la foule va à ceux qui la perdent. Elle est femelle. Elle adore ceux qui lui font du mal avec violence. Elle méprise ceux qui lui veulent doucement du bien.

— Il faudrait pouvoir se faire des yeux neufs, des yeux frais et, avec cette vision affranchie, regarder les événements. Je crois que leur monstrueuse folie apparaîtrait. Même la sensibilité et l’humanité laissées à part, ne découvrirait-on pas le caractère nouveau de cette guerre ? Ne s’apercevrait-on pas qu’elle ruine et qu’elle ne paie pas ? Ne reconnaîtrait-on pas que tous les mots où l’on veut l’inscrire sont trop petits, trop étroits ? Et on veut y faire entrer ces énormes événements… Enfin, ne verrait-on pas que ces mines, ces gisements pour lesquels on se bat au fond, valent cent fois moins qu’ils ne coûtent à conquérir !

— Au café, quatre bourgeois jouent à la manille. Ils commentent le bombardement quotidien. Et j’entends : « Je joue trèfle — Il y a quatorze morts — Je coupe atout — Quarante blessés — Cœur ! Des femmes — Atout, atout, et pique ! »

— Des journalistes aux armées sont guidés par un lieutenant du G. Q. G. Ils s’engagent dans un boyau et l’officier leur dit à voix basse : « À droite… à gauche… suivez les bas côtés… » Ému par cette voix amortie, un journaliste interroge : « À combien sommes-nous des premières lignes ? » Toujours de la même voix sourde : « Quatorze kilomètres. » Le journaliste ; « Alors, pourquoi parler bas ? » Le lieutenant : « C’est que j’ai une extinction de voix. »