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Page:Envers de la guerre - tome 2-1916-1918.djvu/92

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ment. La femme se plaint de la difficulté de faire des menus maigres : « Vraiment, vous croyez qu’on peut manger des topinambours ? » Et pas un mot pour souhaiter que cette folie cesse, qu’on étudie au moins les moyens d’y mettre fin. On trouve cela beau. Moi, je n’y vois qu’orgueil, respect humain, moutonnerie.

— Le 20. Une nausée me prend à chaque manifestation verbale. Elles pullulent. On lance des phrases du haut d’une estrade. Mots mortels. Car ils envoient au charnier des milliers de jeunes hommes. Et ceux qui les prononcent ne courent aucun danger. Aujourd’hui, devant Poincaré et Millerand, c’est Richepin qui récite « le baiser des Drapeaux » après l’entrée en guerre de l’Amérique.

— Le 22. Un frappant exemple de la folie générale : une information a fait le tour de la presse, d’après laquelle les Allemands tiraient de la glycérine et de la graisse des cadavres de leurs soldats. Il s’agirait d’une erreur de traduction du mot « kadaver », qui s’applique aux animaux.

— Un soldat, arrivant de Craonne, me demande son chemin. Nous causons. Timidement, il dit : « Naturellement, on voudrait bien avoir ce qu’on veut. Mais enfin, du moment qu’il y a eu un bout, il y en aura bien un autre. » La gaieté de Paris — c’est un dimanche soir — le choque. Je lui dis que les hommes comme lui devront parler haut, après la guerre. Il me répond qu’ils ne savent rien, qu’ils sont occupés de leur affaire, que ceux qui parleront, ce seront « ceux qui auront lu la guerre dans les journaux ».

— Une lettre d’Albert J…, prototype du petit soldat : « Nous sommes descendus en réserve le 10 à 3 heures du matin, après 18 jours en 1re ligne. Le 10 au soir, il fallut remonter travailler en 1re ligne.