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HISTOIRE D’UN CONSCRIT DE 1813.

Qui vive ! {Page 12.)


proportion. J’avais déjà les trente-cinq francs, mais je ne savais comment dire à M. Goulden que j’achetais la montre ; j’aurais voulu tenir toutes ces choses secrètes : cela m’ennuyait beaucoup d’en parler.

Enfin la veille de la fête, entre six et sept heures du soir, comme nous travaillions en silence, la lampe entre nous, tout à coup je pris ma résolution et je dis :

« Vous savez, monsieur Goulden, que je vous ai parlé d’un acheteur pour la petite montre en argent ?

— Oui, Joseph, fit-il sans se déranger ; mais il n’est pas encore venu.

— C’est moi, monsieur Goulden, qui suis l’acheteur. »

Alors il se redressa tout étonné. Je tirai les trente-cinq francs et je les posai sur l’établi. Lui me regardait.

« Mais, fit-il, ce n’est pas une montre pour toi, cela, Joseph ; ce qu’il te faut, c’est une grosse montre, qui te remplisse bien la poche et qui marque les secondes. Ces petites montres-là, c’est pour les femmes. »

Je ne savais que répondre.

M. Goulden, après avoir rêvé quelques instants, se mit à sourire.

« Ah ! bon, bon, dit-il, maintenant je comprends, c’est demain la fête de Catherine !

Voilà donc pourquoi tu travaillais jour et nuit ! Tiens, reprends cet argent, je n’en veux pas. » J’étais tout confus.

« Monsieur Goulden, je vous remercie bien, lui dis-je, mais cette montre est pour Cathe-