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HISTOIRE D’UN CONSCRIT DE 1815.


Ils racontaient, d’un air majestueux, leurs batailles et leurs duels. (Page 27.)

— Bah ! ne vous chagrinez pas, reprit cet homme ; votre jambe est solide, j’en réponds.

— Tout cela, dit alors M. le maire, n’empêche pas ce jeune homme de boiter depuis sa naissance ; c’est un fait connu de tout Phalsbourg.

— Sans doute, fit aussitôt le médecin de l’hôpital, la jambe gauche est trop courte ; c’est un cas d’exemption.

— Oui, reprit M. le maire, je suis sir que ce garçon-là ne pourrait pas supporter une longue marche ; il resterait en route à la deuxième étape. »

Le premier médecin ne disait plus rien.

Je me croyais déjà sauvé de la guerre, quand M. le sous-préfet me demanda :

« Vous êtes bien Joseph Bertha ?

— Oui, monsieur le sous-préfet, répondis-je.

— Eh bien, messieurs, dit-il en sortant une lettre de son portefeuille, écoutez ! »

Il se mit à lire cette lettre, dans laquelle on racontait que, six mois avant, j’avais parié d’aller à Saverne et d’en revenir plus vite que Pinacle ; que nous avions fait ce chemin ensemble en moins de trois heures, et que j’avais gagné. C’était malheureusement vrai ! ce gueux de Pinacle m’appelait toujours boiteux, et dans ma colère, j’avais parié contre lui. Tout le monde le savait, je ne pouvais donc pas soutenir le contraire.

Comme je restais confondu, le premier chirurgien me dit :

« Voilà qui tranche la question ; rhabillez-vous.