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HISTOIRE D’UN CONSCRIT DE 1815.

Halte !… Arrêtez ! (Page 94.)


Zébédé, qui pensait la même chose, me dit :

« Hein ! Joseph, si nous étions à leur place ! »

Aussi, vers sept heures, lorsque nous vîmes s’approcher trois fourgons, pour nous distribuer des cartouches et du pain, cela me parut bien amer. Il était clair maintenant que nous serions à l’arrière-garde, et malgré la faim, j’aurais voulu jeter mon pain contre un mur. Quelques instants après, passèrent deux escadrons de lanciers polonais qui remontaient la rivière ; puis derrière ces lanciers cinq ou six généraux, et dans le nombre Poniatowski. C’était un homme de cinquante ans, assez grand, mince et l’air triste. Il passa sans nous regarder. Le général Fournier se détacha de son état6major en nous criant :

« Par file à gauche ! »

Je n’ai jamais eu de crève-cœur pareil, j’aurais donné ma vie pour deux liards ; mais il fallait bien emboîter le pas et tourner le dos au pont.

Au bout des promenades, nous arrivâmes à un endroit appelé Hinterthôr, c’est une vieille porte sur la route de Caunewitz ; à droite et à gauche s’étendent les anciens remparts, et derrière s’élèvent les maisons. On nous posta dans les chemins couverts, prés de cette porte que des sapeurs avaient solidement barricadée. Le capitaine Vidal commandait alors le bataillon, réduit à trois cent vingt-cinq hommes. Quelques vieilles palissades vermoulues nous servaient de retranchements, et sur toutes les routes en face s’avançait l’ennemi. Cette fois, c’étaient des vestes blanches et des shakos