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Page:Erckmann-Chatrian — L'ami Fritz (1864).djvu/336

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L’AMI FRITZ.

« Mais si tu l’aimes, s’écria-t-il, Sûzel doit la savoir… tu n’as pas manqué de le lui dire.

— Je n’ai pas osé.

— Tu n’as pas osé !… C’est égal, elle le sait. Cette petite est pleine d’esprit… elle a vu cela d’abord… Elle doit être contente de te plaire, car tu n’es pas le premier anabaptiste venu, toi… Tu représentes quelque chose de comme il faut ; je te dis que cette petite doit être flattée, qu’elle doit s’estimer heureuse de penser qu’un monsieur de la ville a jeté les yeux sur elle, un beau garçon, frais, bien nourri, riant, et même majestueux, quand il a sa redingote noire, et ses chaînes d’or sur le ventre ; je soutiens qu’elle doit t’aimer plus que tous les anabaptistes du monde. Est-ce que le vieux rebbe Sichel ne connaît pas les femmes ? Tout cela tombe sous le bon sens ! Mais, dis donc, as-tu seulement demandé si elle consent à prendre l’autre ?

— Je n’y ai pas pensé ; j’avais comme une meule qui me tournait dans la tête.

— Hé ! s’écria David en haussant les épaules avec une grimace bizarre, la tête penchée et les mains jointes d’un air de pitié profonde, comment, tu n’y as pas pensé ! Et tu te désoles, et tu tombes le nez à terre, tu cries, tu pleures ! Voilà… voilà bien les amoureux ! Attends, attends, si la mère Orchel est encore là, tu vas voir ! »