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LES AMOUREUX
DE CATHERINE
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I

Je ne crois pas qu’il y ait jamais eu meilleure cuisinière ni plus grand feu, dans toute l’Alsace, qu’à l’auberge de la Carpe, chez Catherine Kœnig, au village de Neudorf, près de Huningue.

En 1812, Catherine approchait de vingt-quatre ans ; elle était fraîche, rieuse et bien nourrie en chair. On ne pouvait voir de figure plus appétissante ; d’autant plus qu’elle se mettait toujours proprement à la mode de Neudorf : la jupe large à raies blanches et rouges, la taille longue, le corset orné de bretelles, et ses cheveux bruns soigneusement peignés et enfermés dans le bavolet de taffetas noir.

C’était vraiment une agréable personne ; son menton, un peu gras, ses joues roses, son nez droit, légèrement relevé par le bout, ses dents blanches comme neige, et ses lèvres fraîches comme un bouquet de cerises, charmaient vos regards et vous faisaient naître des idées d’abondance, de jubilation et de satisfaction inexprimable.

Aussi, tous les gros Jacques du pays, tous les rouliers, tous les voituriers qui, dans ce temps-là, allaient et venaient sur la route de Mulhouse à Bâle, en Suisse, s’arrêtaient à l’auberge de la Carpe. Il fallait voir comment Catherine les recevait, comment elle les dorlotait, comment elle leur tapait sur l’épaule.

« Eh ! c’est Andreusse. Ah ! vous voilà. Que j’ai donc trouvé le temps long depuis votre dernier voyage ! Mais savez-vous, Andreusse, que vous devenez rare comme les beaux jours ! Qu’allez-vous prendre ? Un petit déjeuner, n’est-ce pas ? Oui… oui… c’est clair, il faut remonter la grosse horloge. Hé ! Katel, Orchel, mettez la nappe pour l’ami Andreusse. J’ai là justement un gigot tout prêt ; vous m’en donnerez des nouvelles. Kasper, conduis les chevaux à l’écurie et la voiture sous le hangar. N’oublie pas que c’est la voiture d’Andreusse ; que la crèche soit pleine d’avoine. Allons, allons, tout va bien… Maintenant que vous êtes là, je suis tranquille, »

Elle riait ; le roulier était content.

Quelle bonne vivante, que Catherine ! On ne serait pas allé ailleurs pour un empire. Quand arrivait le moment de régler le petit compte, on n’osait pas marchander d’un groschen avec une si brave commère. Et puis, il faut bien le dire, Catherine tenait à ses pratiques ; elle ne surfaisait jamais ; son vin était toujours bon.

« Allons, compère Andreusse, à table ; courage, bon appétit ! »

Le roulier entrait dans la grande salle, où l’attendaient trois ou quatre de ses confrères arrivés le matin ou la veille ; les verres tin-