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LES AMOUREUX DE CATHERINE.

La nuit arrivait ; Salomé venait d’allumer la lampe, et plusieurs, jetant leur veste sur l’épaule, s’apprêtaient à sortir, lorsque Kasper, se retournant vers sa maîtresse, dit :

« Vous connaissez la grande nouvelle, madame ?

— Quelle nouvelle, Kasper ? demanda Catherine.

— Hé ! notre maître d’école s’en va ; le conseil municipal lui donne son congé ! »

Catherine, à ces mots, ne put s’empêcher de rougir, et durant plus d’une minute elle ne dit rien. La vieille Salomé, dans l’ombre, la regardait, et comme le silence continuait, Kasper reprit :

« Oui, Michel Matter nous a raconté ça d’abord, sur la route ; ensuite, — la mère Frentzel et ses deux filles, qui glanaient derrière nous ; il paraît qu’on est las de lui.

— Pourquoi ? dit Catherine ; qu’est-ce qu’il a fait ? »

Orchel, Kasper, Brêmer et les autres se regardèrent du coin de l’œil sans répondre ; puis Brêmer s’écria :

— « Des mensonges, des misères ! Il ne faut pas croire ce que disent les gens. »

Catherine se sentit toute troublée, car elle voyait bien qu’on lui cachait quelque chose. Elle alla s’essuyer les mains à la serviette, derrière la porte, et demanda d’un air d’indifférence :

« Et qu’est-ce que les gens disent ? »

Alors le père Brêmer prit sur lui de tout raconter :

« On le chasse, dit-il, parce qu’au lieu de s’occuper de son école, Rebstock lui reproche de regarder toute la sainte journée du côté de cette maison, et que même il se lève de grand matin pour se planter le nez en l’air devant vos fenêtres ; mais je sais bien que c’est faux.

— Oui, c’est faux, dit Kasper, et surtout ce que chantait Matter. »

Catherine, en entendant cela, rougissait de plus en plus.

« Et qu’est-ce qu’il chante donc ce Michel Matter ? fit-elle.

— Hé ! que vous regardez aussi par-dessus la haie du jardin, en ayant l’air de couper des choux, et qu’il était temps de faire partir l’autre.

— Ah ! c’est parce qu’il regarde ici qu’on chasse ce pauvre jeune homme, dit Catherine d’un air étrange ; on devrait donc me chasser aussi, moi ?

— Oh ! vous, madame, vous êtes la maîtresse dans votre auberge.

— C’est bien heureux, fit-elle, c’est bien heureux ! »

Alors tout le monde se tut, et Brêmer, au bout de quelques instants, s’écria :

« Quel tas de gueux on trouve pourtant dans le monde ! Mais tout cela ne nous regarde pas. Allons, bonsoir, vous autres ; bonsoir, Catherine.

— Attendez donc, dirent les moissonneurs, nous sortons avec vous. »

Tous vidèrent leurs verres et sortirent.

Aussitôt Catherine monta dans sa chambre, et la vieille Salomé fit du feu sur l’âtre.

Catherine redescendit à huit heures pour souper et remonta tout de suite après. Kasper et Orchel allèrent dormir ; ensuite Salomé, vers dix heures.

C’est ainsi que les choses se passèrent en ce jour, et chacun peut se figurer l’indignation de Catherine ; mais sa douleur était encore peu de chose auprès du désespoir de Walter : elle était riche, elle pouvait mettre Rebstock, Matter, Schœffer, tout le conseil municipal à la porte ; lui, perdait à la fois son unique bonheur et son pain.

Dès onze heures, le pauvre garçon avait tout appris. Comme il regardait les enfants sortir de l’école, selon son habitude, des femmes s’étaient écriées en passant :

« Hé ! bon voyage, monsieur Walter, bon voyage ! »

Puis elles s’en étaient allées riant entre elles. Plusieurs autres passants l’ayant ensuite salué d’un air moqueur, il avait conçu des inquiétudes. Et comme Wendling, le secrétaire de la mairie, après avoir écrit la demande du conseil municipal à M. le sous-préfet, s’en retournait chez lui des papiers sous le bras et le cou dans les épaules, Walter l’avait arrêté quelques instants pour savoir ce qui se passait. Alors le petit bossu, le regardant, non sans quelque pitié, s’était écrié de sa voix glapissante :

« Monsieur Walter, écoutez, vous êtes jeune… bien jeune ! Je ne vous en dis pas davantage.

— Mais qu’ai-je donc fait, monsieur Wendling ?

— Ce que vous avez fait !… Ne le savez-vous pas mieux que moi ?

— Au nom du ciel, quelle faute ai-je donc commise ?

— Non, non, monsieur Walter, vous avez beau dire, tout cela ne doit pas vous étonner ; c’est votre faute, vous ne connaissez pas les hommes ; j’étais sûr qu’un jour ou l’autre M. le maire demanderait votre changement…

— Mon changement ?

— Eh oui, c’est une affaire terminée, la décision est prise ; je viens d’écrire la demande