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LE BOURGMESTRE EN BOUTEILLE.

À quoi te sert maintenant d’avoir pressuré le pauvre monde ? (Page 52.)


grappes tombaient les unes sur les autres.

En marchant, je dis au fossoyeur :

« Vous avez là une vigne qui doit vous rapporter beaucoup.

— Oh ! Monsieur, fit-il d’un air dolent, cette vigne ne me rapporte pas grand’chose. Personne ne veut de mon raisin, ce qui vient de la mort retourne à la mort. »

Je fixai cet homme. Il avait le regard faux, un sourire diabolique contractait ses lèvres et ses joues. Je ne crus pas ce qu’il me disait.

Nous arrivâmes devant la tombe du bourgmestre, elle était près du mur. En face, il y avait un énorme cep de vigne, gonflé de suc et qui en semblait gorgé comme un boa. Ses racines pénétraient sans doute jusqu’au fond des cercueils, et disputaient leur proie aux vers. De plus, son raisin était d’un rouge violet, tandis que celui des autres était d’un blanc légèrement vermeil.

Hippel, appuyé contre la vigne, paraissait un peu plus calme.

« Vous ne mangez pas ce raisin, dis-je au fossoyeur, mais vous le vendez. »

Il pâlit en faisant un geste négatif.

« Vous le vendez au village de Welche, et je puis vous nommer l’auberge où l’on boit votre vin, m’écriai-je. C’est à l’auberge de la Fleur de lis. »

Le fossoyeur trembla de tous ses membres. Hippel voulut se jeter à la gorge de ce misérable ; il fallut mon intervention pour l’empêcher de le mettre en pièces.

« Scélérat, dit-il, tu m’as fait boire l’âme