Page:Erckmann-Chatrian - Histoire d’un conscrit de 1813.djvu/135

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le rappel m’avait forcé le matin de partir tout de suite ; que j’avais espéré les revoir et les remercier, mais que le bataillon ayant fait route pour Francfort, ils devaient me pardonner.

Ce même jour, dans l’après-midi nous reçûmes l’habillement du bataillon. Des douzaines de juifs arrivèrent jusque sous les arcades, et chacun leur vendit ses effets bourgeois. Je ne conservai que mes chemises, mes bas et mes souliers. Les Italiens avaient mille peines à se faire entendre de ces marchands, qui voulaient tout emporter pour rien, mais les Génois étaient aussi fins que les juifs, et leurs discussions se prolongèrent jusqu’à la nuit. Nos caporaux reçurent alors plus d’une goutte ; il fallait bien s’en faire des amis, car, matin et soir, ils nous montraient l’exercice dans la cour pleine de neige. La cantinière Christine était toujours dans son coin, la chaufferette sous les pieds. Elle prenait en considération tous les jeunes gens de bonne famille, comme elle appelait ceux qui ne regardaient pas à l’argent. Combien d’entre nous se laissaient tirer jusqu’au dernier liard, pour s’entendre appeler jeunes gens de bonne famille ! Plus tard, ce n’étaient plus que des gueux ! mais que voulez-vous ? la vanité… la vanité… cela perd tout le genre