Page:Erckmann-Chatrian - Histoire d’un conscrit de 1813.djvu/182

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Le sergent Pinto nous dit encore :

« Vous avez de la chance, conscrits ; si l’un ou l’autre de vous en échappe, il pourra se vanter d’avoir vu quelque chose de soigné. Regardez seulement ces lignes bleues qui s’avancent le fusil sur l’épaule, le long du Floss-Graben ; chacune de ces lignes est un régiment ; il y en a une trentaine : ça fait soixante mille Prussiens, sans compter ces files de cavaliers qui sont des escadrons, et sur leur gauche, près de Rippach, ces autres qui s’avancent et qui reluisent au soleil, ce sont les dragons et les cuirassiers de la garde impériale russe ; je les ai vus pour la première fois à Austerlitz où nous les avons joliment arrangés. Il y en a bien dix-huit à vingt mille. Derrière ces masses de lances, ce sont des bandes de Cosaques. De sorte que nous allons avoir l’avantage, dans une heure, de nous regarder le blanc des yeux avec cent mille hommes, tout ce qu’il y a de plus obstiné en Russes et en Prussiens. C’est, à proprement parler, une bataille où l’on gagne la croix, et, si on ne la gagne pas, on ne doit plus compter dessus.

— Vous croyez, sergent ? » dit Zébédé, qui n’a jamais eu deux idées claires dans la tête, et qui se figurait déjà tenir la croix. Ses yeux reluisaient comme des yeux de bêtes qui voient tout en beau.