Page:Erckmann-Chatrian - Histoire d’un conscrit de 1813.djvu/227

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longtemps, d’autres, dans les voitures, s’étaient mis à crier, à rêvasser, à parler de leur mère, à vouloir se lever et sauter sur le chemin. Je ne sais pas si je fis les mêmes choses; mais je m’éveillai comme d’un mauvais rêve, au moment où deux hommes me prenaient chacun par une jambe — les bras autour de mes reins -, et m’emportaient en traversant une place sombre. Le ciel fourmillait d’étoiles, et, sur la façade d’un grand édifice, qui se détachait en noir au milieu de la nuit, brillaient des lumières innombrables : c’était l’hôpital du faubourg de Hall, à Leipzig. Les deux hommes montèrent un escalier tournant. Tout au haut, ils entrèrent dans une salle immense — où des lits à la file se touchaient presque d’un bout à l’autre sur trois rangs -, et l’on me coucha dans un de ces lits. Ce qu’on entendait de cris, de jurements, de plaintes, n’est pas à imaginer : ces centaines de blessés avaient tous la fièvre. Les fenêtres étaient ouvertes, les petites lanternes tremblotaient au courant d’air. Des infirmiers, des médecins, des aides, le grand tablier lié sous les bras, allaient et venaient. Et le bourdonnement sourd des salles au-dessous, les gens qui montaient et descendaient, les nouveaux convois qui débouchaient sur la place, les cris des voituriers,