Page:Erckmann-Chatrian - Histoire d’un conscrit de 1813.djvu/31

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un instant les vitres blanches, il s’écriait :

« Nos pauvres soldats ! nos pauvres soldats ! »

Il disait cela d’une voix si triste, que je sentais mon cœur se serrer et que je lui répondais :

« Mais, monsieur Goulden, ils doivent être maintenant en Pologne, dans de bonnes casernes ; car de penser que des êtres humains puissent supporter un froid pareil, c’est impossible.

— Un froid pareil ! disait-il, oui, dans ce pays, il fait froid, très froid, à cause des courants d’air de la montagne ; et pourtant qu’est-ce que ce froid auprès de celui du nord, en Russie et en Pologne ? Dieu veuille qu’ils soient partis assez tôt !… Mon Dieu ! mon Dieu ! combien ceux qui conduisent les hommes ont une charge lourde à porter ! »

Alors, il se taisait, et, durant des heures, je songeais à ce qu’il m’avait dit ; je me représentais nos soldats en route, courant pour se réchauffer. Mais l’idée de Catherine me revenait toujours, et j’ai pensé bien souvent depuis, que, lorsque l’homme est heureux, le malheur des autres le touche peu, surtout dans la jeunesse, où les passions sont plus fortes et où l’expérience des grandes misères vous manque encore.