Page:Erckmann-Chatrian - Histoire d’un conscrit de 1813.djvu/312

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l’ennemi ; plus loin, par-dessus les pointes des baïonnettes, nous voyions les Prussiens, les Suédois et les Russes s’avancer en masses profondes de tous les côtés : cela n’en finissait plus. Vingt minutes après, nous arrivions en ligne, entre deux collines, et nous apercevions, devant nous, cinq ou six mille Prussiens qui traversaient la rivière en criant tous ensemble : « Faterland ! Faterland ! » Cela formait un tumulte immense, semblable à celui de ces nuées de corbeaux qui se réunissent pour gagner les pays du nord. Dans le même moment, la fusillade s’engagea d’une rive à l’autre, et le canon se mit à gronder. Le ravin où coule la Partha se remplit de fumée ; les Prussiens étaient déjà sur nous, que nous les voyions à peine avec leurs yeux furieux, leurs bouches tirées et leur air de bêtes sauvages. Alors nous ne poussâmes qu’un cri jusqu’au ciel : « Vive l’Empereur ! » et nous courûmes sur eux. La mêlée devint épouvantable ; en deux secondes nos baïonnettes se croisèrent par milliers : on se poussait, on reculait, on se lâchait des coups de fusil à bout portant, on s’assommait à coups de crosse, tous les rangs se confondaient… ceux qui tombaient on marchait dessus, la canonnade tonnait ; et la fumée