Page:Erckmann-Chatrian - Histoire d’un conscrit de 1813.djvu/333

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les derniers, après avoir protégé la retraite des autres, devaient recevoir tous les obus, tous les boulets et la mitraille ; il ne fallait pas beaucoup de bon sens pour comprendre cela, c’était assez clair : voilà pourquoi tout le monde voulait passer à la fois. Â deux ou trois cents pas de ce pont, l’idée me vint de courir me perdre dans la foule, et de me faire porter de l’autre côté ; mais le capitaine Vidal, le lieutenant Bretonville et d’autres vieux disaient : « Le premier qui s’écarte des rangs, qu’on tire dessus ! » Quelle terrible malédiction que d’être si près, et de penser : « Il faut que je reste ! » Cela se passait entre onze heures et midi. Je vivrais cent ans, qu’il me serait impossible de rien oublier de ce moment ; la fusillade se rapprochait à droite et à gauche, quelques boulets commençaient à ronfler dans l’air, et du côté du faubourg de Hall, on voyait les Prussiens déboucher pêle-mêle avec nos soldats. — Aux environs du pont, des cris épouvantables s’élevaient ; les cavaliers, pour se faire place, sabraient les fantassins, qui leur répondaient à coups de baïonnettes : c’était un sauve-qui-peut général ! — Â chaque pas de la foule, quelqu’un tombait