Page:Erckmann-Chatrian - Histoire d’un conscrit de 1813.djvu/45

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— Bonsoir, Joseph, bonsoir ! me criait Catherine ; n’oublie pas de venir dimanche. »

Je me retournai pour agiter la main, puis je me mis à courir sans lever la tête, car le froid était tel que mes yeux en pleuraient derrière les grands poils du collet.

J’allais ainsi depuis vingt minutes, osant à peine respirer, quand une voix enrouée, une voix d’ivrogne, me cria de loin : Qui vive !

Alors, je regardai dans la nuit grisâtre, et je vis, à cinquante pas devant moi, le colporteur Pinacle, avec sa grande hotte, son bonnet de loutre, ses gants de laine et son bâton à pointe de fer. La lanterne pendue à la bretelle de la hotte éclairait sa figure avinée, son menton hérissé de poils jaunes, et son gros nez en forme d’éteignoir ; il écarquillait ses petits yeux comme un loup, en répétant : Qui vive !

Ce Pinacle était le plus grand gueux du pays ; il avait même eu, l’année précédente, une mauvaise affaire avec M. Goulden, qui lui réclamait le prix d’une montre qu’il s’était chargé de remettre à M. Anstett, le curé de Homert, et dont il avait mis l’argent en poche, disant me l’avoir payée à moi. Mais, quoique ce chenapan eût levé la main devant le juge de paix, M. Goulden savait bien le contraire, puisque, ce jour-là, ni lui ni moi n’étions sortis de la maison. En outre,