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Le brigadier Frédéric.

disant : « La guerre m’a fait bon bourgeois ; j’ai payé mes dettes et je passe encore pour un fameux guerrier, parce que ma cave est à l’épreuve de la bombe. Je vais me dévouer à rester au pays, pour acheter à bon compte le bien de ceux qui s’en iront, avec l’argent de mes indemnités ; je me sacrifierai jusqu’à la fin, comme je l’ai fait depuis le commencement ! » Oui, la guerre de cette façon est agréable ; derrière de bons murs tout va bien… Tandis que nous autres, pauvres paysans, nous avons été forcés de nourrir les ennemis, de les loger, de leur donner foin, paille, orge, avoine, froment, jusqu’à notre bétail, entendez-vous, notre dernière ressource… Tenez, moi, on m’a pris mes deux vaches, et maintenant à qui réclamer ?… »

C’était trop fort. Lorsqu’il dit cela, l’effronterie de ce coquin m’indigna tellement que je ne pus m’empêcher de lui crier de ma place :

« Ah ! mauvais gueux, glorifie-toi de tes souffrances et de ta belle conduite pendant nos malheurs… Parle de tes sacrifices et du bel exemple qu’ont donné tes filles… Raconte à ces messieurs comment après avoir couru tout le pays, avec un piquet d’Allemands qui te donnaient le choix