Page:Ernest-Charles - Le Théâtre des poètes, SLA.djvu/89

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de pulluler. Peut-être les Érinnyes n’ont-elles pas causé la prodigieuse renaissance dont nous constatons encore dans notre théâtre contemporain les innombrables manifestations ; elles furent l’une des plus importantes, elles restent l’une des plus belles manifestations de cette renaissance.

Beauté contestée, d’ailleurs ! On n’a qualifié les Érinnyes de chef-d’œuvre que pour proclamer immédiatement que ce chef-d’œuvre était faux. Il apparaît que l’impassibililé ou l’impersonnalité hautaine du poète, non pas absent mais distant de son œuvre, ne produit dans le drame qu’un lugubre pathétique et glace l’émotion. Faux chef-d’œuvre, les Érinnyes ? Œuvre ennuyeuse, assurément. Laissons dire les sots et les sages. Du moins peut-on attester de Leconte de Lisle, auteur dramatique, ce que Barbey d’Aurevilly attestait de Victor de Laprade : « avec lui, l’ennui tombe de haut ». Incontestablement Leconte de Lisle n’était pas un auteur dramatique né. Il subit l’attrait du théâtre parce qu’il était las de vivre isolé de la foule, dieu triste dont un trop petit nombre d’adorateurs célèbrent le culte. En réalité la gloire de l’œuvre tout entière du poète fut propagée par la représentation indécise des Érinnyes. Ô puissance étrange du théâtre ! Et Leconte de Lisle s’est réjoui et il aspira de toutes ses forces à la représentation de l’Apollonide qui ne lui fut pas accordée durant sa vie. Peut-être aussi avait-il une raison littéraire de souhaiter la production de ses ouvrages en public ; il sentait que ses vers, pour que leur beauté sonore se répandît totalement, devaient être déclamés. Il ne se trompait pas. Cependant Leconte de Lisle n’était pas doué de l’invention dramatique : et il n’était pas homme à mener sur la scène une action