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preste et forte. Vivant parmi ses rêves poétiques, familier de toutes les civilisations et de toutes les légendes, il pouvait à loisir combiner les péripéties d’un drame que ses vers eussent orné merveilleusement. Il ne l’essaya même pas. Il prit tout de suite pour modèle les tragiques grecs, il suivit Eschyle, puis Euripide. Il adapta l’Ion de celui-ci et d’abord l’Oreste de celui-là.

Dramaturge, Leconte de Liste demeure incertain s’il doit composer librement son drame ou reproduire exactement l’œuvre qu’il entreprend d’adapter. Dans les Érinnyes, il allège, il résume l’Agamemnon, les Choéphores, les Euménides ; dans l’Apollonide, il ne supprime aucune scène de Ion et il les transcrit toutes dans leur ordre et leur mouvement. Peut-être s’il s’écarte davantage d’Eschyle, est-ce parce que la tragédie eschylienne recèle un lyrisme que la tragédie moderne même renouvelée des Grecs, ne comporte plus. Peut-être, s’il est plus fidèle à Euripide, est-ce parce que dans Ion la marche de l’action est plus simple et plus régulière ! Du moins Leconte de Lisle est, pour la composition des pièces, sans parti pris de novateur, il est simplement un élève dramaturge qui a de la prudence et du goût. Mais dès qu’il s’agit du fond des idées et des sentiments, Leconte de Lisle, adaptateur, le prend de très haut avec les tragiques dont il adapte les ouvrages et, délibérément, il se charge de montrer à Eschyle comme à Euripide ce que c’est que la Grèce des anciens temps. Cet audacieux dessein était bien digne du courage et de la superbe de Leconte de Lisle.

À l’heure Leconte de Lisle écrivit les Érinnyes, les hommes cultivés ne lisaient pas plus Eschyle qu’ils ne le lisent aujourd’hui, mais ils pensaient communément qu’Eschyle était un dramaturge terrible et que tous ses