Page:Ernest-Charles - Le Théâtre des poètes, SLA.djvu/100

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sées. Lorsque, dans la première scène des Érinnyes, les vieillards discutent sur le retour improbable d’Agamemnon, Eurybatès dit prudemment :


Silence ! Taisons-nous, impuissants que nous sommes !
La femme qui commande avec un cœur de fer
N’attend plus le héros qu’a pris la sombre mer
Ou que le Priamide a dompté de sa lance,
Pour nous, ayons un bœuf sur la langue. Silence !


Il nous paraît que cette métaphore hyperbolique est aujourd’hui caduque. Les héros de l’Iliade supportaient parfois un bœuf sur la langue. Nous scellons nos lèvres, et c’est tout ce que nous pouvons faire et le résultat est le même… Lorsque le veilleur annonce le retour d’Agamemnon, Clytemnestre s’adressant aux vieillards s’écrie :


Chantez aux bienheureux les hymnes solennelles
Car la flamme infaillible a parlé hautement
Et tes nefs ont fendu Poséïdon écumant.


Il se peut que Poséïdon écume toujours ; mais nous ne fendons plus Poséïdon, nous fendons les flots simplement, et nous finissons quand même par aborder… Déplorable idée de Leconte de Lisle qui ne sentait pas qu’un traducteur doit traduire tout ce qui peut être traduit. Il n’a pas à étonner le monde moderne en sertissant dans la langue contemporaine certains mots ou certaines images antiques dont, au surplus, la signification n’est comprise que par un petit nombre. Il doit seulement par la justesse, la vivacité et l’appropriation de sa traduction, exciter chez les personnes dignes de pitié qui ne savent pas le grec, les sentiments qu’elles éprouveraient lisant en grec, si elles le savaient, l’œuvre ori-