vivants, j’hésitais à enfoncer mon scalpel dans sa peau. Il s’en aperçut.
« Tu trembles, me dit-il, petit étudiant ! Cependant tous les jours tu fais le brave en venant ici, parce que tes maîtres t’ont dit que nous sommes bien morts.
» Et quand je passe la main dans tes cheveux, voilà que tes cheveux se dressent et que tu n’oses pas me disséquer. »
Et il riait en me montrant deux rangées de dents plus blanches que l’ivoire, et il me répétait : Coupe donc, petit étudiant !
J’allumai ma pipe au grand poële bourré de graisse que nous faisions rougir à blanc. Et voici : je l’entendis rire plus fort. Je fis le fanfaron, et, détournant mes yeux des siens, je lui portai un coup au cœur. Il jaillit de la plaie un jet de sang chaud qui me couvrit de rouge, depuis l’orteil jusqu’à l’extrémité des cheveux.
Et je tombai à la renverse. Et ma tête se trouva près de la sienne sur la table froide.
Alors il se pencha sur ma bouche et me dit : « Tu te crois bien savant, pauvre petit, parce que tes maîtres t’ont dit que les morts ne sont rien qu’une poignée de poussière et que tu vas répétant cela dans les salons pour donner des crises de nerfs aux petites dames blondes. Va souhaiter de ma part le bonjour à tes maîtres, et dis-leur qu’il y a plus d’ignorance sous leurs toques dorées que sous la robe des ânes aux longues oreilles.
» En vérité, je te le dis, les morts reviennent. L’universelle existence ne s’entretient qu’au moyen d’éternelles transformations. Moi, qu’ils croient enseveli dans les gouffres du néant, je suis plus vivant qu’eux. J’étais hier ; je m’appelais Christ, et j’humiliais les docteurs ! Je suis aujourd’hui ; et je m’appelle un assassin, un condamné à mort ! Je serai demain ; et, puissant révolutionnaire, je dépouillerai les grands d’une fortune injustement acquise !