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BIOGRAPHIE ET CORRESPONDANCE

je n’avais pas l’habitude de manger des Champignons, et que je ne savais pas que cette sauce safranée était le suc de l’Oronge, je lui demandais en langue française (car ce Héros parlait en plus de la langue de son pays d’autres langues étrangères, le latin, l’italien, le français, l’espagnol, l’allemand et le vandale ou le croate, qui diffère du hongrois) si cette sauce d’une belle couleur n’avait pas été teinte avec du Safran. Il se tourna alors en souriant vers les Gentilshommes qui, au nombre de huit ou dix, avaient coutume de s’asseoir à sa table. « Le Seigneur Clusius, dit-il (et il prononça ces paroles en langue hongroise), pense que cette sauce a dû être colorée avec une solution de Safran. » Tous aussitôt d’éclater de rire et de s’étonner de mon ignorance sur la nature de l’Oronge, surtout parce qu’ils savaient que, pendant les années précédentes, j’avais étudié cette espèce avec soin, ainsi que nombre de belles plantes et d’autres Champignons qui croissent en Hongrie. »

Cette répugnance de Charles de l’Escluse pour la consommation des Champignons lui fait dire un peu plus loin, après la description des espèces comestibles : « Je prie instamment le Lecteur de ne pas être surpris si je ne me suis pas prononcé sur la saveur ou sur le goût des espèces ci-dessus décrites, parce que je ne mange jamais de Champignons et que j’ai toujours eu horreur d’en faire usage. Aussi l’ill. Héros Balthasar de Batthyan, dont je conserverai le souvenir tant que je vivrai (car il est mort en 1590, c’est-à-dire deux ans après que j’avais quitté Vienne pour aller à Francfort), ne manqua-t-il pas lorsqu’il eut appris que j’écrivais un Traité sur les Champignons de la Hongrie, de me dire en riant (car c’était un homme aimable et facétieux) : « Ce que tu médites de publier, je dirai que ce ne pourra être rien autre que des bagatelles, parce que tu te mets dans l’esprit d’écrire sur des Champignons dont tu n’as jamais voulu goûter même une seule fois[1]. »

Dans les deux lettres qui vont suivre et qui terminent la correspondance de Charles de l’Escluse avec Craton de Kraftheim, il est question de son bel ouvrage sur les Plantes de l’Autriche et de la Pannonie ou Hongrie, qui parut, vers la fin de 1583, chez Plantin.

  1. Rar. pl. Hist., pp. cclxxiii et cclxxvi.