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des terres peut être quelquefois nécessaire[1]. Et Vergniaud d’ailleurs, en terminant le même discours, chantait le couplet obligé en l’honneur des droits de la nature, de l’assistance obligatoire et de la limitation des fortunes. Il résumait en une phrase ses contradictions quand il disait : « Si la constitution doit maintenir le corps social dans tous les avantages dont la nature, l’a mis en possession, elle doit aussi, pour être durable, prévenir par des règlements sages la corruption qui résulterait infailliblement de la trop grande inégalité des fortunes ; mais en même temps, sous peine de dissoudre le corps social lui-même, elle doit la protection la plus entière aux propriétés. » Etrange constitution qui protège la propriété et, en même temps, en dispose sans limite !

Au fond, sauf quelques Physiocrates irréductibles comme Roland et Thibaudeau, les Girondins et les Jacobins professaient les mêmes dogmes. Le Girondin Rabaut-Saint-Etienne écrivait dans la Chronique de Paris : « On ne peut obtenir l’égalité par la force, il faut donc l’obtenir des lois et les charger de deux choses : 1° de faire le partage le plus égal des fortunes ; 2° de créer des lois pour le maintenir et pour prévenir les inégalités futures. — Le législateur devra marcher à son but par des institutions

  1. Esprit des Lois, livre XVIII, chap. xxviii. « Pour rétablir un État ainsi dépeuplé, on attendrait en vain des secours des enfants qui pourraient naître. Il n’est plus temps… ; avec des terres pour nourrir un peuple, on a à peine de quoi nourrir une famille. Le clergé, le prince, les villes, les grands, quelques citoyens principaux, sont devenus insensiblement propriétaires de toute la contrée : elle est inculte ; mais les familles détruites leur en ont laissé les pâtures et l’homme de travail n’a rien. — Dans cette situation, il faudrait faire dans toute l’étendue de l’Empire ce que les Romains faisaient dans une partie du leur : distribuer des terres à toutes les familles qui n’ont rien, leur procurer les moyens de les défricher et de les cultiver. Cette distribution devrait se faire à mesure qu’il y aurait un homme pour la recevoir ; de sorte qu’il n’y eût pas de moment perdu pour le travail. »