Page:Espinas - La Philosophie sociale du XVIIIe siècle et la Révolution.djvu/219

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de permettre la confection d’un inventaire général de la propriété foncière en France, et de faciliter par là la répartition exacte de l’impôt. Mais il est précédé d’un Discours préliminaire où Babeuf, s’élevant au-dessus des conditions actuelles et renonçant aux palliatifs, déclare que ce n’est pas assez d’imposer des charges proportionnelles à tous ceux qui possèdent, qu’il faut encore empêcher la spoliation des uns au profit des autres et assurer à tous un minimun de propriété. Les arguments qu’il invoque sont en général puisés dans le Discours sur l’Inégalité ; ce sont : l’état de nature, l’égalité primitive, les usurpations des riches consacrées par les lois, la chute de plus en plus profonde des dépossédés dans la misère et le mépris. Mais voici un accent différent. Quinze millions d’hommes en France sont réduits au désespoir par neuf millions de propriétaires qui les ont dépouillés et les tiennent garrottés grâce à leur ignorance et aux superstitions dont ils les abreuvent. L’émancipation des mercenaires doit commencer par l’instruction, parce que l’inégalité dans les connaissances ne favorise pas moins la servitude que l’inégalité dans les ressources. Cette croyance à l’efficacité des lumières n’est pas puisée dans la lecture de Jean-Jacques. Elle vient des Economistes et de Condorcet. Mais ce sont toujours les philosophes qui l’inspirent. Tous ces éléments se mêlent pour former cet état de conscience collectif confus, mais puissant, d’où va sortir la Révolution, et dont le caractère essentiel est, chez les futurs modérés comme chez les futurs Enragés, du moins dans le nord de la France, une tendance énergique à poser comme base de la société future la répartition égale entre tous les citoyens des biens et des jouissances de toutes sortes.