Page:Espinas - La Philosophie sociale du XVIIIe siècle et la Révolution.djvu/35

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elles n’unissaient des âmes ethniques disparates ? Supposons un instant que les nations n’existent pas, je crois vraiment qu’il faudrait les inventer.

Mais au XVIIe siècle, pendant un moment de déclin du sentiment national, un autre groupe de règles pratiques se développait en France, en Angleterre et en Allemagne. Rousseau et Fichte en ont fixé les traits principaux. L’individu, d’après cette conception, est une raison pure, une volonté libre investies d’une valeur absolue. La société est un commerce de purs esprits, un commerce d’idées (Kant) dont la liberté est le but. D’abord entravée dans son essor par la nécessité physique, cette société se dégage peu à peu, grâce aux progrès de l’industrie, de l’empire des fatalités naturelles et parvient à établir l’égalité absolue entre les libertés absolues. La propriété individuelle ne peut être pour cette transformation un empêchement durable ; elle sera ramenée à un niveau moyen selon les uns, abolie selon les autres. D’une façon quelconque elle cessera de faire obstacle à la justice. Le problème de l’alimentation sera supprimé. Tout contrat dès lors sera pleinement libre ; aucun homme ne sera subordonné à aucun autre : comme il convient à des activités raisonnables, ils seront seulement coordonnés. Tous les rapports sociaux revêtiront ainsi peu à peu le caractère du contrat d’échange, c’est-à-dire de rapports réciproques ou chaque contractant donne librement autant qu’il reçoit. L’Etat ne sera plus par suite qu’un moyen ; « il tend d’ailleurs normalement à s’anéantir lui-même ; le but de tout gouvernement est de rendre le gouvernement superflu. » Sous sa surveillance, toute injustice, toute tentative pour s’emparer du bien d’autrui au dehors comme au dedans ayant été réprimées et le mal ayant disparu du milieu des sociétés humaines à l’époque même où aura été consommé leur affranchissement, il n’y aura plus de