Page:Espinas - La Philosophie sociale du XVIIIe siècle et la Révolution.djvu/350

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France devient une nouvelle Bétique. Nous ne sortons pas de la République de Platon, de Sparte, de la Crète : cette fascination des esprits devant le souvenir de fictions ou d’institutions vieilles de plus de vingt siècles est un étrange phénomène social.

Il y aura donc encore une France ? Oui. Babeuf et Buonarroti ont décidé que le bonheur commun exigeait des États d’une certaine étendue[1]. Des deux influences qui sollicitaient leurs esprits, celle de Rousseau et celle de l’opinion contemporaine, c’est la seconde qui a prévalu. S’ils avaient divisé, disent-ils, « la grande propriété nationale en autant de propriétés partielles qu’il y aurait eu de peuplades, » selon le vœu de Rousseau, des échanges entre ces peuplades eussent été nécessaires pour que le superflu de l’une passât à l’autre : « ainsi se seraient évanouies cette fraternité générale et cette immense réciprocité de secours qu’on voulait établir et l’esprit égoïste et tracassier du trafic qui eût bientôt présidé aux délibérations de toutes ces communautés, n’aurait pas tardé à réveiller l’ancienne cupidité dans les cœurs des citoyens. » La variété des produits augmente d’ailleurs avec la diversité des régions dans une grande étendue de pays. La production dans son ensemble y est plus constante, c’est une garantie contre la disette. Sans doute l’administration selon la plus stricte égalité d’une population considérable sera compliquée ; « mais au fond tout ceci n’est qu’une affaire de calcul, susceptible de l’ordre le plus exact et de la marche la plus régulière, » dès que la propriété est supprimée[2]. Et même il ne faut pas croire qu’une grande nation offre à la régénération démocratique un obstacle invincible. Une autorité sage et résolue peut y venir à

  1. Tome I, pages 214 et 256.
  2. Buonarroti, t. I, p. 214, 215, Lettre au citoyen M. V., t. II, p. 225.