Page:Espinas - La Philosophie sociale du XVIIIe siècle et la Révolution.djvu/42

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De même jusqu’à ces dernières années, la question sociale avait perdu son aiguillon. Si les sacrifices les plus lourds ont été supportés par le pays aussi vaillamment, est-ce que ce n’est pas parce que l’idée du bien public était présente à tous les esprits ? Il n’y avait dans les populations les plus éprouvées aucune pensée de révolte, aucune haine. Pour la première fois, le service personnel réunissait dans le même rang, assujettissait aux mêmes travaux les riches et les pauvres. L’armée a été la grande école de discipline sociale : là, les déshérités de la fortune et de l’instruction ont appris à reconnaître les supériorités, à souffrir comme chose naturelle les inégalités nécessaires, à compter sur une élite pour le salut commun au jour du danger ; et rentrés dans la vie civile, ils y ont porté cet esprit d’ordre et de respect sans lequel aucune société ne peut se tenir debout. Ainsi, le désir du bien-être et l’instinct d’indépendance et d’égalité se sont organisés dans la conscience nationale avec la règle pratique dominante : fais ce qu’il faut pour que ton pays soit fort et prospère. — D’autre part, sous l’empire du même sentiment, les heureux, ceux du moins qu’on croit nécessairement heureux parce qu’ils ne souffrent pas’de l’insuffisance des ressources pécuniaires, avaient mieux compris qu’en aucun temps leurs devoirs envers leurs concitoyens affligés de ce manque de ressources. Au régiment, les enfants de familles plus aisés, plus cultivés en général que leurs camarades, se sont pénétrés de leur responsabilité sociale : ils ont appris à reconnaître dans leurs compagnons d’armes les qualités qui font l’homme de cœur et le citoyen, en dépit des inégalités de surface. Les institutions philanthropiques ont pris chez nous un essor inconnu jusque-là ; le budget de la bienfaisance privée et de l’assistance publique est devenu considérable. Les grandes industries ont consacré une part de