Page:Espinas - La Philosophie sociale du XVIIIe siècle et la Révolution.djvu/78

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Mais on vient de voir qu’il n’est que l’usurpation consolidée, le règne des riches et des ambitieux ! Si donc nous voulons être conséquents, remontons encore, ne nous arrêtons pas à la seconde période. Allons au delà, jusqu’à l’état de nature, antérieur non seulement aux lois, mais à la propriété ; non seulement à la propriété, mais à la société même ! Rousseau reconnaît que cela est impossible. Tantôt il cherche un milieu entre l’état primitif et l’état social actuel, c’est la cité antique, tantôt il désespère de le trouver et « se roule par terre », et gémit d’être homme. Il n’en est pas moins vrai que son discours sur l’Inégalité inspirera pendant un demi-siècle un enthousiasme sans bornes pour l’état de nature à tous les esprits en quête de réformes.

Sur l’indication de Pascal, Turgot, puis Condorcet orientent définitivement, ce semble, l’idéal humain vers l’avenir. Avec eux, commence la singulière fortune de cette image d’une marche ou progrès, universellement employée de nos jours pour désigner l’ensemble des changements de l’humanité. Condorcet croit que les inégalités sont inévitables, mais il espère que le temps les atténuera indéfiniment. Il ne compte point sur un cataclysme pour guérir des maux dont la gravité ne lui échappe pas. Il compte sur le progrès des lumières. Il ne cherche pas à retenir l’humanité dans sa voie ; il considère que ses derniers changements sont aussi naturels que les changements antérieurs.

Mais, à mesure que la Révolution se précipite vers son terme, l’influence de Rousseau, de Mably et de Morelly remportel (sur celle de Condorcet. Elle se fait sentir déjà par la théorie de l’assistance illimitée dans la Constitution de 1791 ; elle oblige la Convention à céder à des tendances de plus en plus résolument égalitaires, où le communisme est en germe : à partir du 10 août qui marque le