Page:Espinas - La Philosophie sociale du XVIIIe siècle et la Révolution.djvu/91

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lence du sentiment intensifie le vouloir, mais elle compromet plutôt qu’elle ne favorise l’exacte adaptation des moyens aux fins. Cette tentative de généralisation est peut-être risquée ; mais nous ne pouvons nous résigner à nous passer d’une vue d’ensemble au moins provisoire, que l’examen des faits confirmera, rectifiera ou écartera définitivement. Si la philosophie sert à quelque chose, c’est, sans doute, à nous mettre en garde contre nos hypothèses, mais c’est aussi à nous apprendre qu’il ne faut pas avoir peur des idées.

Une objection préalable nous arrête. Vous vous trompez, nous dit-on, sur le compte du xviiie siècle. Si les doctrines qui sont professées par les écrivains de ce temps témoignent d’incontestables préoccupations sociales, s’ils ont désiré peut-être plus passionnément l’égalité que la liberté, ce serait commettre un anachronisme que de les appeler socialistes ; les auteurs du xviiie siècle sont des précurseurs du socialisme, rien de plus. Le vrai socialisme, le seul, est celui de Karl Marx ; le mouvement auquel cette doctrine a donné lieu est un fait unique dans l’histoire, incomparable et inassimilable à aucun autre : par suite toute généralisation portant sur les doctrines antérieures, où vous cherchez à l’embrasser par avance, est chimérique.

Quand une discussion de cette sorte s’élève, on a l’habitude de recourir à une définition qui semble devoir trancher le débat. On ouvre un dictionnaire autorisé, et l’on allègue victorieusement la réponse de l’oracle. Ou bien on cherche ce que les socialistes ont pensé d’eux-mêmes et l’on dit : Voilà la solution objective de la difficulté. Malheureusement il arrive d’ordinaire que la discussion, après ces consultations, recommence de plus belle. C’est que le sens d’un mot n’est un objet de discussion que parce qu’il n’est pas encore fixé. Le dictionnaire