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vitablement inévitablement en grandissant ; mais grands ou petits, tous « doivent à tous les citoyens, en échange de leur travail, une subsistance assurée, la nourriture, un vêtement convenable et un genre de vie qui ne soit pas contraire à la santé » (XXIII, xxix).

Voilà les principes, selon Montesquieu. Ils ne sont pas autres pour Morelly, pour Rosseau, pour Mably. Nous avons pris la cité idéale de Montesquieu comme type parce que, d’ordinaire, on le sépare de ses contemporains. Au fond, une seule et même conception sociale habite ces esprits de physionomies si diverses, c’est celle d’une « ménagerie d’hommes heureux » (d’Argenson), d’une petite république égalitaire où l’État règle les fortunes à son gré, distribue les terres et les tâches, préside aux échanges et veille à ce qu’il n’y ait sur son territoire ni riches, ni pauvres, ni paresseux. Relisez le projet de| constitution rédigé par Rousseau pour les Corses en 1765, rapprochez ce projet de l’article sur l’Economie politique publié dix ans auparavant et des parties du Contrat social qui traitent soit de la propriété et de la richesse, soit de l’étendue des États démocratiques : partout vous verrez la cité parfaite de Rousseau, qui est semblable à celle pour laquelle Morelly a rédigé son Code antipropriétaire, semblable aussi à celle de Montesquieu.

Est-ce là une Ecole ? Rousseau a certainement beaucoup pris à Montesquieu, et Mably suit Rousseau mais le Code de la nature est, comme l’Esprit des lois, un produit spontané[1] de l’état de conscience collective dont nous venons d’indiquer la genèse. Plus les manifestations de cet état de conscience sont indépendantes les unes des autres, plus elle se répètent malgré leur isolement, et plus elles attestent la grandeur, la force et l’unité du cou-

  1. M. Lichtembefger le reconnaît p. 126.