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Page:Espronceda - L’Étudiant de Salamanque, trad. Foulché-Delbosc, 1893.djvu/35

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C’est en vain que vous vous taisez, ô duègne, et que vous me faites signe que non : moi, j’ai décidé que oui, et je veux vous accompagner.

Je veux savoir où vous allez, si vous êtes belle ou laide, qui vous êtes et comment vous vous nommez. La chose serait-elle impossible,

seriez-vous Satan en personne, avec ses flammes et ses cornes, jusque dans l’enfer, vous devant et moi derrière,

en dépit du ciel même, vive Dieu ! nous entrerons ; car je veux, quoi que vous fassiez, satisfaire mon désir.

Et pardonnez-moi, Madame, si mon insistance est trop hardie, mais ce serait chose peu courtoise que de vous laisser seule à pareille heure :

il y va de mon honneur ; par Dieu, je ne voudrais pas que l’on crût que la crainte m’a empêché de suivre une dame. »

Un sourd gémissement du fond de la poitrine, craquement du vase éclatant de douleur, dont la faiblesse frappe à peine l’ouïe, mais dont l’acuité déchire le cœur ;

gémissement d’amer souvenir, de peine présente, de regret incertain ; haleine mortelle, venin qui s’exhale de la mer empoisonnée qui recouvre l’âme ;

gémissement de mort — fut celui que poussa la blanche figure, et silencieusement son pied glissa : telle agite ses ailes une sylphide amoureuse qui ride à peine les eaux du lac.

Hélas ! celui qui a vu se perdre en un jour le bonheur que son cœur croyait éternel, et qui, en une nuit de brumes, dans une agonie profonde, est resté mourant sur une mer sans plages…